Thomas Struth monumental et banal

Première grande exposition personnelle en France

Le Journal des Arts

Le 27 mars 1998 - 636 mots

Quatre-vingts pièces de Thomas Struth dans une exposition quasi-rétrospective au Carré d’Art de Nîmes permettent de visualiser globalement le travail d’un des membres les plus actifs de la jeune génération allemande, présent depuis vingt ans sur la scène artistique de la photographie. La froide fermeté du lieu accentue la banalité de certaines séries, mais relève la forte présence des photographies les mieux construites autour de la complexité de l’instant.

NÎMES - En toutes circonstances (article, exposition, travaux critiques), Thomas Struth, né en 1954, est précédé de la renommée insistante de ses maîtres à Düsseldorf, Gerhard Richter, Berndt et Hilla Becher. Si de telles références furent longtemps le sésame de la réussite internationale, en même temps que le mot de passe pour une critique peu consciente du fait photographique, on peut se demander si les principes de filiation ou d’influence ont encore quelque pertinence lorsqu’ils masquent au contraire – comme semble le penser l’artiste lui-même – la réalité de son particularisme artistique. On s’efforce d’y retrouver “rigueur”, “objectivité”, “neu­tralité”, “précision impressionnante” qui ne suffisent plus à fonder les valeurs esthétiques d’une quelconque modernité. L’art photographique contemporain peine à trouver son assise dans l’étalage des poncifs de la monumentalité, du constat ou de la précision, quand ce n’est de la perte d’aura chère à Benjamin. Souvent, on commente seulement le référent – et ici, il y a du paysage, des portraits individuels ou familiaux, de l’architecture, et même des fleurs –, on commente la beauté de la couleur ou la gradation des lumières, toutes données qui sont traitées à loisir au moment du tirage.

Sage accrochage
On ne trouvera guère de réponse ou d’engagement dans cette exposition, où un sage accrochage réorganise des “séries” conduites sur de longues périodes, mais qui recouvrent en fait les grands “genres” de la peinture, et sans véritable conviction. Il en ressort dans la plupart des cas une certaine banalité, particulièrement dans les portraits, de surcroît suspects de quelque complaisance vis-à-vis des mo­dè­les : galeristes, collectionneurs, confrères. S’il y a là incontestablement un travail photographique professionnel, tel qu’il existe depuis les origines de la photographie (commande ou convenance personnelle), y a-t-il pour autant un travail artistique digne des cimaises ? Les fleurs en gros plan et les paysages, conçus par commande pour le calme des chambres d’un hôpital de Winterthur, peuvent-ils se retrouver sans autre justification  dans les salons de la consécration ?
On reprend confiance néanmoins avec les quelques vues d’architecture – en couleur – de très grand format qui ont fait la notoriété de Struth, notamment la vue intérieure de San Zaccaria à Venise (1995) dans laquelle le photographe a patiemment guetté un moment d’accord harmonique entre l’éclairage naturel, les fresques et peintures, et la présence d’un public lui aussi coloré. C’est sur une telle recherche d’accord passager entre des œuvres d’art, leur espace complexe d’exposition – église, musée – et un public mouvant et incontrôlable que se déterminent les pièces les plus intéressantes, celles qui retiennent par un suspens interne, comme si l’on attendait que quelque chose se dénoue (une femme avec une poussette devant le grand Caillebotte de l’Art Institute de Chicago). En quelque sorte, Thomas Struth devient réellement convaincant lorsque le dispositif – ce système interrogatif que forme le photographe, son appareil et leur mode d’intervention – interroge des comportements sociaux, lors de confrontations avec la peinture ancienne ou moderne (les Cham­bres de Raphaël au Vatican, 1990). La photographie magnifiée par l’espace muséal y trouve alors son rôle à la fois critique et contradictoire à l’égard de toutes les “représentations”, visuelle, picturale, sociale ou politique.

THOMAS STRUTH, jusqu’au 7 juin, Carré d’Art, place de la Maison Carrée, Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi 10h-19h. Puis, Stedelijk Museum, Amsterdam et Centre national de la photographie, Paris. Catalogue édité par Schirmer/Mosel Verlag, 192 p., 348 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°57 du 27 mars 1998, avec le titre suivant : Thomas Struth monumental et banal

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