Art ancien

Tel père, telle fille : Orazio et Artemisia Gentileschi au Palazzo Venezia

Par Federico Castelli Gattinara · Le Journal des Arts

Le 26 octobre 2001 - 708 mots

Moins célèbre que sa fille Artemisia, Orazio Gentileschi n’en est pas moins un des peintres majeurs du Seicento, méditant l’exemple de Caravage à l’aune de sa culture toscane. Tandis que le père favorise l’émergence d’une peinture de cour dans le nord de l’Europe, la manière originale des Gentileschi se répand dans le sud de l’Italie grâce à Artemisia. Une exposition au Palazzo Venezia, à Rome, retrace leur parcours respectif.

ROME (de notre correspondant) - Malgré l’importance incontestable d’Orazio Gentileschi (1563-1639), seule une récente exposition lui a été consacrée, centrée sur les années anglaises (lire le JdA n° 79, 19 mars 1999). Sa fille Artemisia (1593-1652 ou 1653) a connu un sort bien différent, probablement à cause de la triste et célèbre affaire du viol commis par le peintre et ami du père, Agostino Tassi, du procès public qui s’est ensuivi et de leur départ pour les Marches. Afin de rééquilibrer la situation, un trio de conservateurs a choisi le Palazzo Venezia comme première étape d’une exposition entièrement dédiée à ces deux personnalités, réunissant trente-sept toiles d’Orazio et vingt et une d’Artemisia.
 
L’histoire d’Orazio est exemplaire. Né à Pise, il s’installe à Rome où il se fait la main dans les ateliers en participant aux grandes entreprises voulues par Sixte Quint et dirigées par les puissants artistes-entrepreneurs Cesare Nebbia et Giovanni Guerra. D’après Baglione, il aurait participé aux fresques de la bibliothèque Sixtine du Vatican, puis au cycle des Histoires de la Vierge de Santa Maria Maggiore où un panneau entier lui est confié. Durant ces années, il n’est qu’un bon peintre maniériste qui ne se distingue pas particulièrement de ses collègues Giovan Battista Ricci, Andrea Lilio et Ferraù Fenzoni. On ne sait pas exactement quand il entre en contact avec Caravage, sûrement à la fin du siècle : “Ce qui devrait ressortir, souligne le surintendant Claudio Strinati, c’est que Gentileschi n’est pas simplement un caravagiste, un point c’est tout. Il est le créateur d’un nouveau style, une forme de naturalisme qui procède certainement de Caravage mais qui devient aussitôt complètement indépendant.” Son art est en réalité le symbole du retour à la pureté du dessin toscan, à l’époque d’Andrea del Sarto. Les premiers chefs-d’œuvre voient le jour durant ces années, par exemple les deux versions de Saint François soutenu par un ange de Rome et de Madrid, le Baptême du Christ de Santa Maria della Pace et la Circoncision d’Ancône. Ses toiles sont encore en partie conditionnées par une lecture du caravagisme orientée vers la puissance expressive, tandis que perce déjà un style personnel empreint de naturalisme lyrique, d’une grande limpidité de vision et d’une finesse chromatico-lumineuse bien éloignés du drame caravagiste. Les Saints Cécile, Valérien et Tiburce de la Brera, ainsi que L’Annonciation de la Galerie Sabauda de Turin marquent l’apothéose de cette dimension lyrique. L’exposition suit toutes les étapes successives de sa carrière, des Marches à Gênes, puis à Paris auprès de Marie de Médicis, et, enfin, de 1626 à sa mort à la cour des Stuart où il est appelé par Charles Ier d’Angleterre. En qualité de “Picture Maker to His Majesty”, il parvient à un style d’une rare élégance, avec de grandes toiles pour la plupart aux sujets bibliques et peuplées de personnages raffinés, en costumes aux couleurs chatoyantes qui rappellent les Vénitiens du XVIe siècle très prisés à la cour. Parmi les chefs-d’œuvre en provenance du monde entier, en particulier les dix tableaux prêtés par les États-Unis, figurent la splendide Dame qui joue du luth de Washington et la Danaé de Cleveland.

La section réservée à Artemisia n’est pas moins complète, de la première période entièrement inspirée par l’exemple paternel, avec la Judith et Holopherne des Offices et la Madeleine pénitente du Palazzo Pitti, jusqu’à la maturité, avec les grandes œuvres napolitaines marquées par une relecture plus âpre et tragique de la manière de son père. S’y exprime un caractère personnel qui dénote un lointain modèle caravagiste et contribue à la définition d’un style napolitain.

- Orazio et ArtEmisIA GENTILESCHI, jusqu’au 20 janvier, Palazzo Venezia, 118 via del Plebiscito, Roma, tél. 39 06 679 88 65, tlj sauf lundi 9h-14h. Catalogue, éd. Skira.
- Puis à New York, Metropolitan Museum of Art (14 février-12 mai 2002), et Saint-Louis (15 juin-15 septembre 2002).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°135 du 26 octobre 2001, avec le titre suivant : Tel père, telle fille

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