Histoire - Société

CIVILISATION / EXPOLOGIE

Tatoués de Marseille et d’ailleurs

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2025 - 658 mots

L’exposition consacrée au tatouage autour de la Méditerranée s’égare parfois au-delà. Elle éclaire un phénomène qui court du Néolithique à l’art contemporain.

Marseille. Comme la grande exposition « Tatoueurs, tatoués » qui s’est tenue en 2014 et 2015 au Musée du quai Branly-Jacques-Chirac, « Tatouage. Histoires de la Méditerranée » se situe à la croisée de l’archéologie, de l’anthropologie et de l’art contemporain. Dans un texte d’introduction programmatique au style ampoulé, on apprend que, construite par chapitres thématiques « comme autant d’innombrables micro-histoires », elle est « marquée par les études de genre et les recherches post-coloniales, [et] déploie en creux une réflexion renouvelée sur la Méditerranée ». Le commissaire, Nicolas Misery, directeur des musées de Marseille, a construit un parcours qui « célèbre la circulation des formes et l’interconnexion des idées, la survivance de pratiques et le métissage des identités, pour mieux montrer comment les cultures s’adoptent, communiquent et se lient ».À travers le prisme du tatouage, il s’agit donc d’un hymne à la Méditerranée et à Marseille, ville qui « se caractérise par son multiculturalisme ». Malgré un certain flou qui imprègne le propos (par exemple, on voit mal pourquoi la civilisation persane a droit à sa « micro-histoire », si ce n’est qu’elle permet de donner une place à l’homosexualité masculine), le parcours se révèle dans l’ensemble riche et doté d’une médiation soignée. Affirmant son ancrage dans la cité phocéenne, il commence par des portraits de ses habitants par Bonnefrite ou Cagne Canine et se termine par celui de Daniel, 66 ans, fier d’être tatoué (sans date), un membre de l’Union sportive Marseille Andoume Catalans dessiné par Nine Antico.

Une première partie est consacrée à l’histoire méditerranéenne du tatouage depuis l’Antiquité. La médiation ne l’inscrit malheureusement pas dans une histoire mondiale. En conséquence, des visiteurs peuvent continuer d’ignorer que cette pratique est répandue partout et surtout depuis la nuit des temps, car ses premières traces connues seraient des aiguilles d’os du Paléolithique moyen en Afrique du Sud. Ici, on a plutôt l’impression que son origine se situe au Néolithique au bord de la Méditerranée, les objets – prêtés par de nombreux musées – venant d’Égypte, de Turquie, de Grèce, d’Espagne, d’Italie, de France ou de Chypre. Les régions des mers Adriatique et Noire, dont l’Ukraine avec la culture de Cucuteni-Trypillia, sont agrégées à ce vaste espace. Moins connu encore, le tatouage pratiqué dans la période du Moyen Âge à l’époque moderne mène le visiteur en Égypte copte, dans l’Italie de la Renaissance et dans la Jérusalem du XVIIe siècle, la pratique étant alors adoptée par des chrétiens que le texte de salle décrit comme « esclaves de Dieu ».

Le tatouage dans la culture berbère

C’est sous l’unique angle du colonialisme et du racisme qu’est traité le tatouage de populations lointaines découvert par les explorateurs à partir de la Renaissance. Le sujet, évoqué ici par des objets d’Afrique subsaharienne qui sont hors du cadre géographique revendiqué, ne concerne en outre pas l’espace méditerranéen, lequel a constamment connu le tatouage avec les valeurs positives ou négatives qu’on pouvait lui attribuer – il était déjà lié aux Barbares pour les Grecs de l’époque classique et aux esclaves pour les Romains.

En revanche, l’exposition montre avec justesse toute l’importance du tatouage amazigh, inséparable de la civilisation et de la culture berbères. C’est par lui qu’est abordé le XXe siècle et la décolonisation, les femmes artistes du monde maghrébin ayant inclus cette esthétique dans leurs représentations féministes. Baya, Samta Benyahia, Lalla Essaydi, El Meya et leurs homologues masculins Choukri Mesli, Mohammed ben Meftah, Farid Belkahia, Denis Martinez, Ahmed Cherkaoui représentent cette école.

En conclusion de cette exploration, la forte tradition du tatouage féminin s’affirme dans le monumental diptyque en impression chromogénique Harem revisited #32 (2012) de Lalla Essaydi, auquel répond la série « Lisa Granado, Miss Cagole 2024 » (2024) de la photographe Gaëlle Matata. Avec les créations du Marseillais Yacine Aouadi et de Jean Paul Gaultier est évoquée en début et fin de parcours une autre forme d’art que le tatouage inspire : la mode contemporaine.

Tatouage. Histoires de la Méditerranée,
jusqu’au 28 septembre, Centre de la Vieille Charité, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°661 du 19 septembre 2025, avec le titre suivant : Tatoués de Marseille et d’ailleurs

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