Marché

Tableaux impressionnistes : toujours recherchés, toujours chers

Malgré la récente crise qui a réduit la spéculation sur les tableaux modernes, les chefs d’œuvre, de plus en plus difficiles à trouver, atteignent toujours des prix exceptionnels

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 974 mots

Malgré leur grande rareté, les tableaux des jeunes années des grands impressionnistes, comme ceux exposés au Grand Palais, atteignent sur le marché des prix moindres que les œuvres de maturité des mêmes peintres – aux prix records –, parce que moins « typiques » du style impressionniste.

PARIS - Le Musée d’Orsay a récemment acquis un excellent exemple de ce genre d’œuvre : le Nu au chat de Renoir, peint en 1868, un tableau d’une qualité remarquable mais moins évidemment impressionniste que les toiles plus tardives du peintre. Vendu à Christie’s-Londres en juin 1988 pour 1 320 000 livres sterling, le Nu au chat est repassé en vente à Sotheby’s-New York le 10 novembre 1992, où le musée parisien l’acheta, la crise aidant, pour seulement 797 500 dollars – environ le tiers de son prix d’adjudication quatre ans auparavant.

"Ce sont des tableaux pour de vrais collectionneurs – des gens qui vont comprendre la subtilité d’une œuvre, un peu comme le ferait un conservateur de musée", estime Manuel Schmit de la galerie Schmit de Paris.
Autre exemple : le 12 mai 1993, Christie’s-New York a vendu la Jetée du Havre, peint par Monet en 1868 à l’âge de vingt-huit ans, pour 9 682 500 dollars – une somme considérable pour une toile, certes fascinante, mais où le futur maître de l’impressionnisme ne faisait qu’aborder les techniques qui firent plus tard sa gloire. En 1868, Monet luttait péniblement pour gagner sa vie. Peu après avoir peint la Jetée du Havre, le peintre tenta même de se suicider, en se jetant dans la Seine près de Bettencourt. Les impressionnistes avaient beau chercher à plaire à la clientèle bourgeoise de leur époque, ils ne commencèrent à se vendre qu’au cours des années 1890. Leur plus grand champion, le marchand Paul Durand-Ruel, fit deux fois faillite en quinze ans avant de monter, en 1886 à New York et en désespoir de cause, une exposition de leurs tableaux qui sauva enfin sa carrière.

L’ascension des prix des tableaux impressionnistes constatée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale s’est accélérée à partir des années soixante. Vers la fin des années quatre-vingt, l’arrivée sur le marché d’acheteurs japonais, attirés essentiellement par un petit nombre d’artistes postimpressionnistes comme Utrillo, Marie Laurencin, Foujita et surtout Van Gogh, a contribué au renchérissement.

Le 15 mai 1988, chez Christie’s- New York, le Portrait du docteur Gachet par Van Gogh devint le tableau le plus cher du monde, à 82 500 000 dollars (458 millions de francs), payés par le Japonais Ryoiy Saito qui, deux jours plus tard, chez Sotheby’s cette fois, emporta le Moulin de la Galette de Renoir pour 78 100 000 dollars. Entre le 16 et le 18 mai, les vacations de tableaux impressionnistes chez Sotheby’s-New York totalisèrent 426 millions de dollars.

Peu après, ce fut la débâcle : les prix – surtout ceux des peintres prisés par les Japonais, qui se retirèrent brusquement du marché – s’effondrèrent. Les beaux tableaux deviennent rares, la spéculation subit un brutal coup de frein et bien des investisseurs y laissent des plumes.

Tout comme les maisons de ventes publiques, les galeries ont naturellement souffert du ralentissement du marché des tableaux impressionnistes, pourtant moins radical que celui de l’art contemporain :
"Il y a cinq ans nous vendions un tableau tous les trois jours. Maintenant, nous vendons un tableau très important tous les mois", nous a dit Manuel Schmit, pour qui "les choses ont beaucoup changé : on n’a rien vu d’intéressant dans le domaine de l’impressionnisme en vente publique à Paris depuis deux ans. De nos jours, il faut que les gens tombent amoureux d’un tableau avant de l’acheter. Ils ne peuvent plus se dire qu’ils vont faire une affaire".

Le plus beau Cézanne
Pendant les "années de folie" de 1986 à 1990, la spéculation, "a tout faussé", selon l’expert parisien André Pacitti, qui estime que les prix sont maintenant équivalents à ceux de 1987.
"Les tableaux rares et importants restent chers. Mais, pour les tableaux "courants", on est revenu à des prix raisonnables, à un marché normal, calme, qui ne connaît plus la même compétitivité entre collectionneurs et marchands : avant, il s’agissait de prix spéculatifs et la crise de 1990 était prévisible, car l’arbre ne monte jamais au ciel. Il y a toujours eu des périodes fastes dans le marché de l’art. Aujourd’hui, c’est une période faste pour les acheteurs – s’ils savent choisir la qualité." Aujourd’hui, en dépit de la crise, les œuvres impressionnistes majeures continuent à faire des prix très importants.

"Il y a toujours de l’argent, de l’intérêt et de la demande pour les choses de grande qualité, les choses exceptionnelles, même en vente publique. Mais il y en a fort peu", estime Manuel Schmit.
En mai 1993, Nature morte, les grosses pommes de Cézanne atteignit 28 602 500 dollars à Sotheby’s- New York. Pour la première fois depuis juin 1990, un tableau impressionniste ou postimpressionniste dépassa le seuil des 20 millions de dollars. Comme d’autres excellents résultats enregistrés lors de la même vente – Femmes dans un jardin de Renoir, adjugé 6 712 500 dollars par exemple –, celui du plus beau Cézanne à paraître sur le marché en trente ans ne témoignait pas d’une reprise, mais simplement de l’énorme intérêt suscité chez des collectionneurs avertis par une œuvre hors du commun.

"Je connais plusieurs collectionneurs importants qui, depuis deux ans, cherchent des chefs d’œuvre impressionnistes et qui seraient prêts à payer des prix réalistes – pas ceux de 1989, peut-être, mais des prix importants, tout de même. Or personne ne veut vendre", se plaint Waring Hopkins, de la galerie parisienne Hopkins-Thomas.
Selon Andrew Strauss, expert chez Sotheby’s, "tout l’équilibre du marché s’est modifié depuis le début de la récession : ceux qui achètent maintenant sont très sélectifs. Ils sont prêts à payer des prix extraordinaires pour des œuvres exceptionnelles".

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Tableaux impressionnistes : toujours recherchés, toujours chers

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