Enluminures

Sur les traces des trésors cachés des musées

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 14 janvier 2014 - 1034 mots

Sur un projet ambitieux de l’Institut national d’histoire de l’art, projet aujourd’hui interrompu, trois musées présentent les enluminures des collections publiques en régions.

ANGERS, LILLE, TOULOUSE - Lancé par l’Institut national d’histoire de l’art (Inha) en 2004, le grand recensement des enluminures présentes dans les collections des musées de France livre ses premiers résultats. Conçu à l’origine sous la forme d’une base de données, le projet, trop titanesque pour être assuré par les forces vives de l’Inha, s’est mué en une série d’expositions réparties entre les régions. Trois musées présentent aujourd’hui le fruit d’un travail de terrain : le Musée des beaux-arts d’Angers pour les collections des musées des Pays de la Loire et du Centre ; le Palais des beaux-arts de Lille pour le Nord - Pas-de-Calais, la Picardie et la Champagne-Ardenne ; enfin le Musée des Augustins, à Toulouse, pour le Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillon.

Après un premier inventaire effectué par l’Inha, les recherches ont été confiées aux responsables de musées auxquels était associé un universitaire médiéviste, dans un esprit de rapprochement cher à l’institut. Les collections des bibliothèques du pays étant déjà bien documentées, l’objectif de la mission est de faire ressortir les trésors cachés des musées de France.
La tâche est immense et une plus grande concertation entre les participants aurait concouru à de meilleurs résultats. Pour le catalogue d’exposition, par exemple, l’idée d’un format commun pour créer une collection éditoriale a été abandonnée faute de concorde entre les différents acteurs. Et si les musées se sont fréquemment consultées sur les axes à développer pour les expositions, chacun a composé selon ses découvertes.

À Toulouse, les recherches ont ainsi été élargies aux sociétés savantes, et l’accent a été mis sur la pédagogie. Une approche concrète du livre a été privilégiée. De la peau de veau parcheminée que les visiteurs sont invités à toucher à l’antiphonaire éventré par les ciseaux des collectionneurs de lettrines peu scrupuleux, en passant par un lexique détaillant les différentes appellations, tout est fait pour redonner vie à ces ouvrages. De fait, remises dans le contexte de leur usage (textes sacrés, chants, textes juridiques…), ces feuilles précieuses retrouvent un air d’objet familier et quotidien.

Collectionneurs dépeceurs
À Angers, la scénographie cossue de Nathalie Rivière pensée sur le modèle d’un cloître médiéval met en avant le contenu des ouvrages, là aussi présentés selon leur usage. Les multiples dispositifs numériques permettent une observation au plus près des enluminures pour traquer, par exemple, l’évolution des modes de production et des formats, la standardisation de l’iconographie ou encore les débuts de l’imprimerie et l’apparition d’enluminures imprimées puis peintes.

Lille a joué la confrontation des enluminures à l’univers de l’artiste belge Jan Fabre, une démarche radicale qui s’inscrit dans la politique du musée, pratiquant le mariage de l’ancien et du contemporain à chaque exposition. Une très belle sélection d’objets médiévaux du musée complète la présentation luxueuse, certes pédagogique mais avant tout esthétique. L’œuvre de Jan Fabre, en particulier ses tableaux-mosaïques de la série Hommage à Jérôme Bosch au Congo (2011-2013), offre une vraie résonance avec le travail des enlumineurs.

En dépit de leurs différentes orientations, ces expositions ont un ancêtre en commun : entre les incendies ou les ravages de la Révolution française, le plus grand prédateur de ces ouvrages n’est autre que le collectionneur, adepte du dépeçage depuis le Moyen Âge. Paradoxalement, ce même passionné est, par ses dons et legs, à l’origine de la majeure partie des collections des musées, qui, à la différence des bibliothèques, ne placent pas les enluminures en haut de leur liste d’acquisitions.

Depuis le départ de Jean-Marie Guillouët, maître de conférences à l’université de Nantes, au terme de quatre années passées à l’Inha en qualité de conseiller scientifique pour ce projet, aucun remplaçant n’a été nommé. Les régions Rhône-Alpes, Aquitaine et Bourgogne, prochaines étapes logiques pour présenter les résultats de ce recensement, devront attendre ; aucune exposition n’est programmée pour le moment. Trouver un universitaire médiéviste, prêt à mettre entre parenthèses un poste de maître de conférences, résidant ou prêt à résider à Paris sans défraiement, se révèle une mission délicate. La base de données, inachevée, est consultable à l’Inha, à Paris. Une solution serait pour l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) de récupérer la base pour, à terme, l’intégrer dans son importante bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux.

S’il est regrettable que l’Inha n’ait pas les moyens de ses ambitions, ces recherches ont donné lieu à des découvertes et des surprises, à l’exemple de quatre sublimes initiales historiées découpées dans un antiphonaire, à l’origine encore obscure, retrouvées par hasard dans les collections du Musée d’art et d’histoire de Narbonne. Ou encore de ce précieux feuillet de bible du XIIIe siècle au Musée Charles-VII de Mehun-sur-Yèvre (Cher), dépourvu de numéro d’inventaire car il était considéré comme un fac-similé…

Toulouse

Trésors enluminés, de Toulouse à Sumatra, jusqu’au 16 février, Musée des Augustins, 21, rue de Metz, 31 000 Toulouse, tél. 05 61 22 21 82, www.au gustins.org, tlj 10h-18h, 10h-21h le mercredi. Catalogue, coéd. Musée des Augustins/Ville de Toulouse, 184 p., 29 €.

Commissaires : Charlotte Riou, conservatrice des sculptures au Musée des Augustins ; Chrystèle Blondeau, maître de conférences à l’université Paris-Ouest-Nanterre

Lille

Illuminations ; Jan Fabre, Chalcosomia et Hommage À Jérôme bosch au congo, jusqu’au 10 février, Palais des beaux-arts de Lille, place de la République, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 00, www.pba-lille.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, 14h-18h le lundi. Catalogue, éd. Invenit, 288 p., 29 €.

Commissaires : Cordélia Hattori, chargée du cabinet des dessins ; Laetitia Barragué-Zouita, conservatrice du patrimoine, département du Moyen Âge et de la Renaissance ; Régis Cotentin, chargé de la programmation contemporaine ; Marc Gil, maître de conférences en histoire de l’art médiéval, université de Lille-III ; Barbara De Coninck, Angelos [Visual Arts] by Jan Fabre

Angers

Trésors enluminés des Musées de France, jusqu’au 16 mars, Musée des beaux-arts, 14, rue du Musée, 49100 Angers, tél. 02 41 05 38 00, www.musees.angers.fr, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, coéd. Musée d’Angers/INHA, 250 p., 29 €.

Commissaires : Marc-Édouard Gautier, conservateur en charge des fonds patrimoniaux et directeur adjoint de bibliothèque municipale d’Angers ; Pascale Charron, maître de conférences à l’université de Tours ; et Pierre-Gilles Girault, conservateur au Château-Musée de Blois

Légende photo

Maître de Philippe de Gueldre, Louis XII et Anne de Bretagne devant la sainte Couronne d'épines, Paris, vers 1500, enluminure, 19,3 x 21 cm, Musée Dobrée, Nantes. © Conseil général de Loire-Antlantique, Musée Dobrée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : Sur les traces des trésors cachés des musées

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