Stoskopff, poète de la vie silencieuse

Les deux tiers de la production du peintre réunis à Strasbourg

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 704 mots

À travers un remarquable ensemble de natures mortes, le Musée de l’Œuvre Notre-Dame rend hommage à Sébastien Stoskopff (1597-1657), l’un des poètes les plus troublants de la vie silencieuse. Placée sous la férule d’un rigoureux conseil scientifique, cette exposition rendra enfin justice à l’artiste en réunissant l’essentiel de son œuvre. Au-delà d’une mise au point historique et d’une passionnante étude stylistique, cette réunion permettra surtout de le révéler au plus large public.

STRASBOURG - Une quarantaine de tableaux, sur la soixantaine actuellement répertoriés, constitueront le fonds de cet hommage, co-organisé avec le Suer­mondt Ludwig Mu­seum d’Aix-la-Chapelle, qui trou­ve pour prétexte la célébration du quatrième centenaire de la naissance du peintre. Prétexte utile, sans doute, pour soutenir auprès des autorités – que la carrière européenne de Stoskopff achèvera de séduire – le projet ambitieux de réunir et d’interroger ses compositions austères, où la trivialité des objets quotidiens se trouve sublimée dans l’incessant va-et-vient du naturel à l’incongru : objets inanimés, avons-nous donc une âme ? Voici, renversée par le miroir de la peinture, la question du poète. Pris entre la rusticité de ses ustensiles et la gravité de ses réflexions, Stoskopff, en ascète, considère le tableau comme le support d’une infinie méditation. C’est aussi pourquoi, dans ses œuvres, la part de conventions symboliques et de contiguïtés librement signifiantes opposent aux commentaires définitifs du spectateur une résistance farouche. S’en étonnera-t-on ? La vie silencieuse s’accommode assez bien du silence... Ainsi, les musées français (Arras, Chaumont, Clamecy, Le Havre, Lyon, sans oublier le Louvre), allemands (Berlin, Francfort, Halle, Karlsruhe et Sarrebruck), autrichiens (Vienne), suisses (Bâle), néerlandais (Rotterdam) et américains (Detroit, Princeton) ont consenti le prêt exceptionnel de véritables chefs-d’œuvre. Plu­sieurs collectionneurs privés ont également accepté de se séparer, pour de longs mois, de ces petits morceaux d’une double intimité : celle du peintre et la leur. Le visiteur découvrira sans doute avec stupeur l’étonnante Carpe dans un baquet (Bâle), la tragique Grande nature morte à la tête de veau (Sarrebruck) ou encore la Cor­beille de verres et bassin de cuivre (Karlsruhe), incomparable de raffinement.

Assassiné par un aubergiste
Fils d’un courrier diplomatique de Strasbourg, Sébastien Stoskopff partagea sa vie et sa carrière entre Paris et sa terre natale. Un long séjour dans la capitale, entre 1621 et 1641, à peine entrecoupé d’un rapide voyage en Italie (1629), lui permit de fréquenter les meilleurs spécialistes du genre : Lubin Baugin, Jacques Linard, Louise Moillon. De retour à Strasbourg, en 1641, Stoskopff est inscrit, cette même année, sur le registre de la corporation de l’Échasse qui régissait quantité de métiers d’art, parmi lesquels ceux d’orfèvre, de peintre, de graveur et d’imprimeur. La Grande Vanité, peinte dès 1641 et conservée au musée de Strasbourg – l’un des pivots de l’exposition –, semble illustrer, de manière allégorique, cette nouvelle appartenance : des calices richement ouvragés y voisinent avec des livres, une gravure, un luth, un globe céleste, un heaume et, au beau milieu de la composition, un crâne. Au bas du tableau, le peintre a porté cette sentence, en quatre lignes : Art, richesse, puissance et courage meurent. Le monde et toutes ses œuvres périssent. L’Éternité vient après ce temps. Ô fous, fuyez la Vanité ! Compor­tement paradoxal que celui du peintre qui, ayant fait scintiller le miroir aux alouettes, exhorte le spectateur à s’en détourner !

La fin de Stoskopff ne fut pas moins étrange. Après s’être marié à la fille d’un orfèvre strasbourgeois (1646), et avoir satisfait nombre d’amateurs de la ville, il passa, en 1655, au service du comte Jean de Nassau-Idstein qui l’invita à peindre dans sa résidence. Le peintre mourut à Idstein, ivre assurément, et sans doute assassiné par l’aubergiste qui le logeait. Telle fut la fin d’un artiste dont on sait qu’il était porté sur le flacon, lui qui peignit avec une telle assurance et une aussi grande minutie d’inégalables corbeilles de verres...

SÉBASTIEN STOSKOPFF 1597-1657, du 15 mars au 15 juin, Musée de l’Œuvre Notre-Dame, 3 place du Château, Strasbourg, tél. 03 88 32 88 17, tlj sauf lundi et fêtes 10h-12h et 13h30-18h, dimanche 10h-17h. Puis, du 5 juillet au 5 octobre, Suermondt Ludwig Museum, Aix-la-Chapelle. Catalogue, 288 p., 120 ill. dont 60 coul., 340 F. (290 F. en mai, mois du Livre d’art).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Stoskopff, poète de la vie silencieuse

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