Sous les soleils

Le Petit Palais, nouvelle hacienda de l’art mexicain

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 12 mai 2000 - 652 mots

Préférant le terme de « soleils » à celui usé de chefs-d’œuvre, le Petit Palais regroupe près de 250 pièces pour une célébration de l’art mexicain. Parcourant plus d’un millénaire, des civilisations précolombiennes à la création contemporaine, l’exposition évite le piège de l’hagiographie chronologique par une division en sept chapitres, de la vie à la mort en passant par le corps.

PARIS - Cérémonieusement entourée de quatre atlantes toltèques de la première moitié du millénaire, la Montagne sacrée (1999) du sculpteur Jorge Yaspik trône au sommet d’un podium, improbable reconstitution d’un temple mexicain intemporel, fidèle à l’imaginaire collectif. Dans le but avoué de montrer des permanences dans l’art d’un pays pourtant construit sur une série de ruptures, l’exposition du Petit Palais regorge de ces raccourcis audacieux ou hâtifs, mêlant indifféremment art noble et populaire, précolombien et contemporain. Assemblage d’une multitude de pièces en acier rouillé, le Serpent (1991) de Gabriel Orozco offre ainsi une version postindustrielle de la légende du Serpent à plumes, Quetzacóatl, dieu de l’eau et de la végétation. Plus loin, Mes mains sont mon cœur, photographie réalisée par le même artiste, jouxte une Crucifixion baroque de Sebastián López de Arteaga (1610-1656) et un Chac-mool toltèque, autel du début du millénaire destiné à recueillir des offrandes humaines. En modelant par la simple empreinte de ses mains un cœur dans un bloc d’argile, qu’il présente au spectateur, Gabriel Orozco rejoint les deux autres œuvres dans la représentation de dons sacrificiels, qu’ils soient précolombiens ou catholiques.

Adoption et adaptation
Parmi les sept chapitres de l’exposition, un volet est d’ailleurs entièrement consacré au “Corps sacrifié” au sein d’une série de thèmes plus vastes, tels que “Corps et visages”, “Sensualité et fécondité”, “Le paysage”, où sont confrontés des pièces archéologiques et de nombreuses toiles dont l’intérêt, malgré quelques pièces maîtresses, comme le Prométhée de José Clemente Orozco (1833-1949), s’essouffle rapidement. L’“Art colonial”, symboliquement placé au centre de l’exposition, constitue la seule section historique du parcours. Mais à la violence de la conquête entamée en 1519 par Hernán Cortés, les pièces exposées opposent dans leur majorité le sentiment d’une continuité symbolisée par l’appropriation contrainte puis naturelle de l’imagerie chrétienne par les populations indigènes, parfois jusqu’à l’absurde : une statue équestre en bois du XVIIe siècle, représentant Saint Jacques pourfendeur des Maures, saint patron des conquistadores et pourfendeur des Indiens dans cette période, rappelle que le saint fut l’objet d’un culte populaire dans de nombreuses localités indigènes. Moins ironiquement, la sculpture en pâte de tige de maïs d’un Christ mourant dans les bras de Dieu (XVIIe-XVIIIe siècle) prouve l’adoption des techniques indiennes par les colons. Choisi pour sa légèreté, le matériau imprime un caractère organique à la sculpture, dont les membres semblent étonnamment allongés. Un autel en bois du XVIIe siècle, paré d’une devanture en argent, témoigne de l’importation directe de modèles espagnols. L’imitation est parfois réduite à un simple décorum de façade, dont l’artifice est judicieusement pointé par l’Arc de triomphe (1999) voisin d’Humberto Spíndola, fragile structure monumentale de papier rouge et de feuilles d’or.

Bâti sur une série d’antagonismes, le parcours entamé avec le mythe de Quetzacóatl se clôt sur un condensé de l’iconographie macabre omniprésente au Mexique : masques, ex-voto populaires, photographies mortuaires, telle Mère et enfant mort avec une croix (1910) de Romualdo García, peinture néo-surréaliste de Julio Galán... La mort se déploie dans un vaste bric-à-brac, à l’image d’une exposition qui, en 250 œuvres et une quinzaine de salles, parfois violemment colorées, se transforme en marathon visuel. À trop regarder les “Soleils du Mexique”, on en devient aveugle.

- LES SOLEILS DU MEXIQUE, jusqu’au 13 août, Musée du Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris, tlj sauf lundi 10h-17h40, jeudi 10h-20h. Catalogue, éditions Paris-Musées, 296 p., 320 F, ISBN 2-87900-496-9. Du 26 mai au 12 août, le Centre culturel mexicain (119 rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, tél. 01 44 61 84 44) présente à cette occasion une exposition de 34 artistes modernes et contemporains.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°105 du 12 mai 2000, avec le titre suivant : Sous les soleils

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