Graphisme

Six bandes et une diagonale

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 mars 2017 - 827 mots

Quarante ans après l’ouverture du Centre Pompidou, le logo créé par Jean Widmer, plus que l’identité visuelle de l’institution, en est devenu la signature.

PARIS - C’est l’histoire d’un logotype qui faillit ne jamais exister, mais qui, quarante ans après sa conception, est toujours en vigueur : celui du Centre Pompidou, à Paris. Il a été conçu par le graphiste Jean Widmer, 87 ans aujourd’hui, et son associé d’alors, Ernst Hiestand, au sein de Visuel Design Association, agence lauréate, en 1974, du concours lancé pour l’identité visuelle dudit musée.

Né le 31 mars 1929 à Frauenfeld, en Suisse, et formé à l’École d’arts appliqués de Zurich, Jean Widmer débarque à Paris en 1953, à l’âge de 24 ans : « Nous avions, nous les graphistes suisses, une vision qui allait à l’essentiel. Ma méthode est simple : à chaque fois je dessine un premier croquis, et lorsque je l’affiche au mur, je le trouve toujours trop compliqué. Alors, je le retravaille pour aboutir à une simplicité. Au départ, on est comme un illustrateur. Ensuite, il faut éliminer, épurer. Cela prend du temps pour que cela soit parfait. Ce temps est précieux. Peu de monde, pourtant, nous accorde cette patience. »

Un logo sinon rien
Paradoxalement, Widmer imaginera le logo du Centre Pompidou en un temps record. « Au départ, nous trouvions que c’était inutile, d’ailleurs il n’y en avait pas dans notre rendu de concours, explique le graphiste. Nous ne voyions pas la nécessité de dessiner un logo pour un musée. Un musée n’est pas un aéroport. En outre, la pluridisciplinarité était un obstacle. Il y avait plusieurs départements – le Centre de création industrielle (CCI), la Bibliothèque publique d’information (BPI), le Musée national d’art moderne (Mnam) et l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam) – et c’était très compliqué de les ordonner en un seul logo […]. Certes, pour les distinguer, on pouvait imaginer pour chacun d’eux une forme géométrique – un triangle pour l’Ircam, un cercle pour le CCI, un losange pour la BPI, un carré pour le Mnam –, des formes qu’il était possible d’emboîter les unes dans les autres pour constituer une seule figure, mais il y avait déjà énormément d’images à gérer. » D’autant qu’il a déjà octroyé une couleur à chacune des entités : le vert pour la BPI, le bleu pour le CCI, le rouge pour le Mnam, le violet pour l’Ircam, et enfin le jaune pour l’administration. D’où sa détermination à ne pas créer un code visuel supplémentaire. Jusqu’à ce jour de novembre 1976, à quelques semaines de l’inauguration prévue fin janvier 1977, où Claude Mollard, alors secrétaire général de ce qui s’appelle encore l’établissement public du Centre Beaubourg (EPCB), brandit une menace : « Widmer, il nous faut un logo et si vous ne voulez pas le faire, on demandera à quelqu’un d’autre ! — Je vous le dessine, on va faire la façade du Centre, répliqua Widmer. – Génial ! rétorqua Mollard. »

Une façade entre les lignes
Jean Widmer n’a que quelques jours pour esquisser un logo, mais il a déjà tout en tête : « La prématuration avait fait son effet, dit-il, la façade de ce bâtiment m’a toujours interpellé, je la trouvais tellement intéressante. » Dans un café, face au Centre Pompidou, il dessine sur une nappe en papier les premiers croquis. L’air du temps est cinétique, d’où l’influence de l’op’art (art optique). On pense aussi au logo strié de l’Américain Paul Rand pour la firme américaine IBM (1972). Jean Widmer, lui, livre une figure ouverte : un rectangle sans limites latérales, fait d’épaisses lignes horizontales alternativement noires et blanches, figurant les différents étages de cette architecture révolutionnaire, et barré par une diagonale de l’angle en bas à gauche jusqu’à l’angle en haut à droite qui représente l’escalier mécanique. Tout est dit : l’architecture, les rythmes, le mouvement, l’intérieur, l’extérieur… Il n’empêche, des reproches fusent de la direction de l’EPCB. « On m’a demandé pourquoi je laissais cette figure ouverte à gauche et à droite, au lieu de faire un rectangle bien fermé », s’étonne aujourd’hui encore le graphiste, alors qu’il n’y a pas représentation plus idoine de ces plateaux exempts de toute cloison. Pis, son esquisse se compose de cinq bandes noires horizontales. Un responsable du Centre Pompidou exige d’en ajouter une sixième, histoire d’être parfaitement raccord avec les six étages du bâtiment. « Je trouvais que cinq bandes suffisaient amplement, que la sixième était de trop et alourdissait l’ensemble, raconte Jean Widmer. J’avais dessiné ce logo en fonction d’un équilibre propre au signe lui-même. Sur le plan graphique, mon idée de la réduction était très valable. Avec cinq bandes, le logo prenait une dimension symbolique plus forte. » La direction ne plie pas. « Alors on a accepté, dit Widmer. C’est un compromis, nous l’avons un peu regretté. »

Quatre décennies plus tard, « ce logo continue à traverser les âges sans prendre une ride », reconnaît le graphiste Philippe Apeloig.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°475 du 17 mars 2017, avec le titre suivant : Six bandes et une diagonale

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