Art contemporain

Paroles d’artiste

Saverio Lucariello

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 2 mai 2003 - 614 mots

À la manière de la commedia dell’arte, Saverio Lucariello fait intervenir l’humour dans le champ de l’art pour mieux souligner les absurdités de notre société. Rencontré à l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, à Paris, l’artiste fanfaron laisse légèrement glisser son masque.

Que présentez-vous dans cette exposition ?
L’exposition se partage en trois moments. Une partie centrale où trois sculptures-installations, que j’ai appelées les Baba’s Islands, posées au sol, sont séparées les unes des autres tels des îlots de pensée. Une deuxième partie présente une espèce de “salle de naissance” des concepts. On y voit trois sortes de landaus qui contiennent des “bébés-moniteurs” montrant leurs fesses vibrant au rythme d’une voix obsessionnelle. Ils énumèrent une série de concepts liés à l’art et à l’existence en général. Une troisième partie est constituée d’images : des personnages dans l’obscurité sont en train d’éclairer à la lanterne des textes pseudo-glorieux et faussement signifiants.

L’exposition s’intitule “Baba’s Islands”. À quoi faites-vous référence ?
Je suis pour un art non référentiel. J’ai choisi l’art pour pouvoir créer de nouvelles formes et des déplacements de langage. En ce qui concerne les Baba’s Islands, il s’agissait d’abord de concevoir une manière de poser des formes au sol. En ce sens, toute sculpture, mais aussi tout objet qui altère le langage, est un isolement, un îlot de pensée autre. Dans les Baba’s Islands, cette pensée a pris la forme d’une “sculpture-île” et elle profite de son statut et de son langage (les textes et les mélodies des vidéos qui sont inclus) pour, si l’on veut, créer du sarcasme sur la chronicité ridicule et comique que vit la créativité humaine et l’art en général. C’est ça le baba, et c’est aussi ça le cool et le baba cool. C’est le moment où toute fantaisie et énergie nouvelles manquent. C’est quand l’affaissement des esprits provoque une accoutumance un peu hippye aux conventions, pire encore, quand l’accoutumance crée l’illusion d’être nouveau, hard, rebelle...
Peut-être que les Baba’s Islands, dans leur moment d’isolement sculptural, veulent aussi indiquer les tas d’imbécillités de la situation créatrice et intellectuelle actuelle. Quand on répète les mots “réalité” et “réel”, accompagnés de leur garniture “politique”, “sociale”, “banale”, etc, et cela avec l’assurance d’être dans l’avancée, l’actualité, l’extrême...
Les Baba’s Islands sont peut-être aussi la mise en scène des gargarismes et des remontées digestives des théories artistiques et de la modernité : depuis le début des années 1990, on n’arrête pas de ruminer les idées novatrices du XXe siècle, on tente des lectures défaillantes de ces idées passées : “réalité relationnelle”, “réalité paranormale”, “réalité banale”, “extra-réalité”... et d’autres adjectifs encore viennent garnir cette incertitude et ce vide intellectuel liés au manque d’innovation.

Le rôle de l’“idiot” permet-il de s’attaquer à des problèmes plus sérieux ?
Il n’y a pas d’idiotie ni de sérieux dans l’art, si ce n’est dans les textes analytiques qui arrivent après l’art. Il y a plutôt une condition mentale qui permet une pensée unique, isolée, particulière… Une pensée qui puise ses ingrédients et ses sujets dans les codes de la normalité et se permet, avec l’arrogance de l’ingénuité, de mettre tout à plat et reconstruire des mondes parallèles.
Les attitudes uniques laissent toujours pressentir l’idée de s’attaquer à quelque chose d’affirmé. Mais, en effet, il ne s’agit de rien d’autre que de notre vision officielle qui, branlante pour quelques instants, nous laisse y voir de l’idiotie. Dans la création, on ne conçoit pas le concept d’idiotie. On est déjà ailleurs et l’on attend ce qui va se dire... pour continuer à en rire.

“Baba’s Islands”, galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36, rue de Seine, 75006 Paris, tél. 01 46 34 61 07, jusqu’au 10 mai.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : Saverio Lucariello

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