Art contemporain

Saâdane Afif, l’art et la méthode

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 20 mars 2018 - 560 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

Invité par le Wiels à Bruxelles à présenter une rétrospective de son travail, l’artiste propose une exposition qui met en abyme une grande partie de son œuvre. Et devient un dispositif de production de musique.

Bruxelles. Comment porter un regard sur son œuvre passée sans la considérer comme un objet solidifié ? C’est le défi que relève Saâdane Afif en réponse à l’invitation qui lui est faite par le Wiels de concevoir une rétrospective sur deux plateaux au centre d’art bruxellois. Pour ce faire, il réunit non pas à proprement parler un ensemble d’œuvres mais une sélection de dix expositions réalisées au cours des quinze dernières années. Un choix périlleux, qui pourrait laisser penser à qui connaît déjà son travail qu’il ne verra rien de nouveau. On retrouvera ainsi le chœur de guitares mélancoliques présentées à la Documenta 12 (Black Chords plays Lyrics, 2007, 2007), les haut-parleurs annonçant les trains entrant en gare de Düren (Là-bas., Biennale de Berlin), le cercueil du Centre Pompidou tiré de son Anthologie de l’humour noir (prix Marcel Duchamp 2010)… L’exposition produit bien un effet de « déjà-vu ».

Mais les dix « ensembles » rejoués ici se révèlent en fait être des prétextes à poursuivre une méthode de travail faisant de l’exposition un champ ouvert à des collaborations sans cesse renouvelées et toujours plus inclusives. Commandes d’affiches à des graphistes, interventions de performeurs en tout genre, production d’objets… et surtout invitations à écrire des textes résonnant avec ses pièces. Une méthode qui transforme l’œuvre en chanson. Pour sa rétrospective intitulée justement « Paroles », Afif met l’accent sur ces projets qui accordent au verbe une place centrale. Ces poèmes, matière à lire et à interpréter qui traversent les œuvres, en constituent l’objet et la matrice. Dans chacune des salles dans lesquelles il reformule une exposition antérieure, les textes sont présentés à hauteur de regard, là où habituellement on accroche des « œuvres ». Le texte devient une matière visuelle centrale. Le reste, affiches, objets, sculptures et autres memorabilia renvoyant aux anciennes occurrences des projets, est placé dans les marges, au sol ou en hauteur. Environ 130 textes (dont une partie a été commandée pour l’occasion) sont présentés et courent d’une salle à l’autre, résonnant avec les projets. En amont de l’exposition se trouvent ainsi une centaine de personnes ayant répondu aux demandes d’Afif et le processus créatif apparaît ici comme une œuvre à plusieurs mains. L’ensemble de ces textes forme un recueil de chansons que le public a le loisir d’interpréter. En bout de chaîne, un studio d’enregistrement équipé de multiples instruments est à sa disposition, sous la houlette d’un maître (le musicien Valentin Noiret) qui l’accompagne dans son interprétation. Une sélection d’entre elles sera mise en ligne (www. paroles.brus sels). L’exposition se révèle dès lors pour ce qu’elle est : un dispositif de production de musique.

Afif resitue ainsi l’œuvre au cœur d’un réseau de relations d’échange se ramifiant tant en amont qu’en aval. Il rejoue le projet duchampien dans lequel c’est le regardeur qui fait le tableau : ici, l’œuvre est une chanson et le visiteur en est l’interprète. Mais cette zone de production musicale est traversée de la mélancolie de boîtes à rythme (Blue Time, 2004) et de sombres automates (Black Chords) où l’artiste semble tiraillé entre la machine célibataire et le projet collectif.

Saâdane Afif, Paroles,
jusqu’au 22 avril, Wiels, centre d’art contemporain, Avenue Van Volxem 354, Bruxelles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : Saâdane Afif, l’art et la méthode

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