Rouler sans fards

À Grenoble, Sylvie Fleury passe de la mode au New Age

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 651 mots

Occupant la totalité des espaces du Magasin, Centre national d’art contemporain, Sylvie Fleury regroupe sous le titre d’« Identity/astral/pain/
projection » quelques-uns de ses récents travaux à Grenoble. Si l’univers de la mode, référent par le biais duquel l’artiste suisse s’est fait connaître au début des années 1990, est encore présent, il côtoie d’autres corpus comme ceux de l’automobile et des médecines parallèles, sujets propres à révéler des désirs d’individualisation.

GRENOBLE - À la fois accessoires virils, symboles d’une contrainte féminine ou fétiches punk, huit lames de rasoirs de trois mètres de haut (Razorblades, 2001) appuyées contre les murs reflètent la lumière d’un slogan répété par trois fois sur des néons : “be amazing”. Sylvie Fleury prend un malin plaisir à agir sur le fil du rasoir, sur la brèche. Ses œuvres, précises et coupantes, exercent simultanément crainte et fascination, toujours trop spectaculaires pour être honnêtes. Elles “reflètent la personne qui les regarde”, se plaît à répéter avec ingénuité l’artiste suisse. Justement, comment regarder Trees show the bodily form of the wind ? Produite pour l’occasion, la pièce reconstitue au centimètre près le mur d’un magasin Prada. De la peinture à la lumière en passant par la moquette et les chaussures, la multinationale, qui ne peut espérer plus rapide retour sur image, a tout fourni. Quel “mécène” ne rêve pas d’avoir son stand et ses produits en plein milieu d’une exposition ? L’équation “Musée = centre commercial” a déjà été formulée avec cynisme et clairvoyance par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas qui développe un nouveau concept de “shopping”. Il a d’ailleurs appliqué le schéma en brouillant davantage les cartes : Andreas Gursky a photographié un rayon Prada, ses images serviront de papier peint pour les nouvelles boutiques. En décrivant son œuvre “comme une mise en trois dimensions de la photographie de Gursky”, Sylvie Fleury accélère encore la boucle, atténue davantage les frontières mais reprend la main. Depuis le début des années 1990, le travail de l’artiste suisse est connu pour son utilisation d’articles de luxe et autres shopping bags, mais intitulée “Identity/astral/pain/projection”, l’exposition du Magasin montre la diversité des univers appréhendés.

Pour l’artiste, la “mode est une prothèse”, un rajout permettant de se distinguer. Des flammes peintes à même le mur (Flames 12, 2001) derrière un alignement de moteurs argentés (283 Chevy, 400 Dodge et 400 Pontiac, 1999) participent du même désir de “customisation”, phénomène populaire qui consiste à individualiser son véhicule par le biais de chromes et autres petits plus. Fondée par Sylvie Fleury, l’agence de customisation She-Devils on Wheels Headquarters a pignon sur la “rue” du Magasin où s’accumulent les carcasses de véhicules. Projeté dans un conteneur, Viva las Vegas fournit un possible résumé de ses activités. Ces plans ralentis, saisis lors d’une convention de “customs”, montrent des pots d’échappement enflammés, des roues larges, ou des revers de jeans impeccables comme autant de stratégies pour s’échapper de la production en série. Le refus de l’universel, l’amélioration sans grand bouleversement, et la soumission finale à de nouveaux codes et archétypes sont les constantes des univers précités (la mode, le custom). Elles se répètent dans celui des médecines naturelles, référence principale des derniers travaux de Sylvie Fleury. Là se croisent pendules agrandis (Seven), espace de relaxation sur lit de jade chauffé (Sitting quietly, doing nothing, Spring comes, and the grass grows by itself), bibliothèque naturopathe (Waves gives vital energy to the moon). S’adjoignant les services d’un chromothérapeute, l’artiste donne au spectateur la possibilité de se renseigner sur son aura avant de la “customiser” dans un espace coloré (Two views of the rock and sand garden at Ryoanji). Les fondements théosophiques de l’abstraction et les théories des couleurs de Johannes Itten retrouvent par l’intermédiaire des théories “New Age” un peu de leur pouvoir.

- SYLVIE FLEURY, IDENTITY/PAIN/ ASTRAL PROJECTION, jusqu’au 6 janvier 2002, Le Magasin, Centre national d’art contemporain, Site Bouchayer-Viallet, 156 cours Berriat, 38000 Grenoble, tél. 04 76 21 95 84, www.magasin-cnac.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Rouler sans fards

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