Art contemporain

Ron Mueck, sombre et énigmatique

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 28 juillet 2023 - 751 mots

PARIS

Cette troisième exposition personnelle du sculpteur à la Fondation Cartier pour l’art contemporain permet d’apprécier l’évolution de son travail, et de son regard.

Paris. Ainsi que le rappelle Hervé Chandès, directeur général artistique de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, ce n’est pas la première, mais la troisième exposition consacrée à Ron Mueck dans le bâtiment du boulevard Raspail. « Une conversation se poursuit depuis plus de vingt ans entre Ron Mueck et la Fondation », explique-t-il. En 2005, l’institution avait présenté au public français, qui à l’époque le découvrait, cinq sculptures réalisées spécialement. Puis en 2013, en réunissant près de dix pièces, dont trois inédites, accompagnées d’un documentaire sur le sculpteur australien, elle avait tutoyé, avec plus de 300 000 visiteurs, des records de fréquentation. En tout, la Fondation Cartier aura exposé plus d’un tiers des créations du plasticien dont certaines pour la première fois. Il faut préciser que son corpus, depuis ses débuts en 1996, compte seulement 48 œuvres : Ron Mueck (né en 1958) a la réputation d’être un travailleur solitaire, ponctuellement aidé de rares assistants. Situé sur l’île de Wight (Angleterre), son atelier reçoit peu de visites. Cet artiste en retrait est invariablement secondé par Charlie Clarke, commissaire associé de l’exposition, qui supervise ses projets partout dans le monde sans livrer pour autant davantage d’explications sur cette œuvre énigmatique.

Une Vanité XXL

Mass (2017), l’installation présentée au rez-de-chaussée du bâtiment en verre, d’où elle est visible depuis la rue, arrive tout juste de la National Gallery of Victoria (Melbourne), qui en a passé commande pour sa Triennale. Cette pièce de dimension spectaculaire est faite pour impressionner : un éboulement d’une centaine de crânes énormes forme une Vanité XXL qui surplombe le visiteur, lequel se retrouve non seulement immergé mais englobé dans cette accumulation, selon un rapport d’échelle inversé. Ce memento mori, qui conjugue la monumentalité et l’hyperréalisme, renvoie moins semble-t-il à l’aspect transitoire de nos existences humaines qu’à un désastre environnant qui nous dépasse. Avec Mass, sa plus grande réalisation à ce jour, Ron Mueck change également de direction. Jusqu’à présent, le sculpteur s’était attaché à représenter l’être humain dans son individualité. Il clonait dans la matière chaque détail de pilosité et de grain de peau, chaque ride d’expression, procédé dont A Girl (2006), nouveau-né gigantesque encore ensanglanté allongé dans la salle attenante, offre un exemple saisissant. Personne n’aura envie de s’exclamer « quel beau bébé ! » devant cette créature aux traits et aux poings contractés. Mass, comme son titre l’indique, ne s’attarde pas sur la particularité. L’œuvre ne renvoie pas non plus à la souffrance qu’évoquent par exemple les chairs à vif des tableaux de Francis Bacon. Parfaitement curetés, aseptisés, les crânes de Ron Mueck en deviennent au contraire quasiment abstraits, sont réduits à de simples motifs. C’est un monument proportionné à l’insensibilité générale. Et d’une certaine façon, un constat d’échec pour l’artiste à pouvoir encore émouvoir, lui dont la stupéfiante habileté technique a toujours suscité l’enthousiasme du public.

Untitled (Three Dogs) (2023), l’autre pièce majeure et inédite, se trouve au sous-sol, lequel ne bénéficie pas de la luminosité naturelle du rez-de-chaussée. Il s’agit d’un groupe représentant trois chiens immenses campés sur leurs pattes, toisant le visiteur. Sur leurs gardes, ces colosses semblent, par leur attitude, nous menacer. Là aussi, et à l’inverse de Man in a Boat (2002), en fin de parcours, le réalisme maniaque de l’artiste cède la place à un travail de sculpture plus classique. Le geste lisse la forme, quand bien même l’expression de ces chiens d’Hadès surprend par leur humanité. La figure canine obsède d’ailleurs le plasticien, affirme Hervé Chandès, selon lequel cette sculpture était en projet depuis dix ans. Dans l’atelier de l’artiste, les maquettes sur ce sujet abondent, dans des versions plus ou moins inquiétantes.

C’est encore la violence qui est suggérée par la sculpture de petite dimension This Little Piggy (2023). Cette œuvre en cours, que l’artiste a accepté d’exposer dans son inachèvement, montre un groupe d’hommes anonymes unis dans leurs efforts pour maintenir à terre un cochon afin de le mettre à mort. Ironique, le regard de Ron Mueck sur ses semblables (voir Couple Under An Umbrella, ou Woman with Shopping, deux œuvres exposées en 2013) n’a jamais été particulièrement tendre. Voilà qu’il devient féroce. Le désenchantement et la dérision sensibles dans ces corps avachis, ces chairs sans attraits, dans ces portraits si ressemblants d’êtres humains à notre image, a cédé la place à un point de vue plus amer, plus brutal. En cela Ron Mueck reste sans doute en phase avec son époque.

Ron Mueck,
jusqu’au 5 novembre, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, 75014 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Ron Mueck, sombre et énigmatique

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