Art moderne

XXE SIÈCLE

Rodtchenko, un explorateur sans limites

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2017 - 671 mots

Le Musée Unterlinden rend hommage au prolifique chef de file du constructivisme, avec une scénographie exemplaire qui aurait mérité un plus grand nombre d’œuvres exposées.

Colmar. L’accrochage est d’une élégance extrême. Les œuvres choisies couvrent les différentes activités d’Alexandre Mikhaïlovitch Rodtchenko (1891-1956) – photo, peinture, design, sculpture, architecture… Tout va bien alors dans le meilleur des mondes ? Presque, car en sortant de l’exposition on reste encore sur sa faim. De fait, l’impression est d’avoir un aperçu un peu rapide de la production plastique de celui que l’on peut désigner comme un « artiste total », ainsi qu’on le dit d’une œuvre d’art totale. La raison en est simple : les œuvres proviennent toutes du Musée Pouchkine de Moscou. On aurait aimé que d’autres prêts soient présentés à Colmar, tant sont rares les occasions de voir un ensemble conséquent des œuvres de Rodtchenko.
 

Au service de la révolution bolchevique

Le parcours s’ouvre avec quelques tableaux dont la très belle Composition sans objet (1918). Ce titre, qui paraphrase celui du livre de Malevitch, Le Monde sans objet, montre l’intérêt que portait Rodtchenko à l’inventeur du suprématisme.

Cependant, son style évolue rapidement vers une abstraction sèche, graphique, basée sur des lignes précises qui forment des cercles et des ellipses, tracées au compas et à la règle, bien loin de la ligne ondulante de Kandinsky. Ainsi, Composition sur fond jaune (1920), trois disques qui se recoupent et qui semblent flotter, rappelle la fascination de l’avant-garde pour l’espace, sans toutefois les envolées métaphysiques suprématistes. Les références de Rodtchenko sont celles du monde industriel, glorifié par la révolution. En toute logique, l’artiste, ayant réalisé en 1921 son célèbre triptyque composé de trois monochromes – jaune, rouge et bleu – déclare la fin de la peinture, considérée périmée : « À bas l’art, vive la technique ! ». Désormais, ingénieur-constructeur, Rodtchenko se consacre aux projets utilitaires – affiches, design industriel, architecture, scénographie. À Colmar, on peut voir une photographie de lui : il est vêtu du costume fonctionnel du travailleur, fabriqué avec sa femme, Stepanova. Les travaux de Rodtchenko s’inscrivent alors dans une tendance qui traverse l’Europe – le constructivisme –, mais à la différence du Bauhaus en Allemagne ou De Stijl aux Pays-Bas, ils seront chargés de l’idéologie bolchevique. Le terme productivisme, employé pour les artistes engagés politiquement à gauche, implique l’abandon de l’art pour l’art au profit d’une production destinée aux masses.
 

Sculptures, affiches publicitaires et photos

Mais, on oublie parfois qu’avant de dessiner des plans pour l’architecture et des meubles, Rodtchenko avait créé des compositions dans l’espace avec ses sculptures-assemblages. Posées sur des socles ou suspendues au plafond par un fil de fer, les œuvres sont faites à partir de plans géométriques rectangulaires auxquels viennent s’ajouter des sphères plates – ovales, cercles, ellipses – qui tiennent en équilibre sans former de masses compactes. Ces sculptures, nommées « Constructions spatiales », sont toujours des structures ouvertes et asymétriques, permettant un dialogue entre la matière et le vide.

Par la suite, tout au long des années 1920 et jusque dans les années 1930, Rodtchenko, qui devient un membre influent de l’Institut de la culture artistique (Inkhouk), développe une activité débordante. En 1925, à l’occasion de l’« Exposition internationale des arts décoratifs et de l’industrie » à Paris, il réalise son œuvre la plus emblématique Club ouvrier – une salle de lecture dotée d’un équipement complet – et dont une jolie maquette est installée au musée. Mais ce sont les affiches publicitaires qui sont la partie la plus étonnante de la manifestation colmarienne. Quelques unes des 150 affiches, produites parfois avec le poète Vladimir Maïakovski, sont des chefs-d’œuvre de la typographie et du photomontage. (Éditions Lenguiz, Livres consacrées à tous les domaines du savoir, 1924). L’exposition s’achève sur les photographies de Rodtchenko, des prises de vue d’une audace remarquable – des contre-plongées vertigineuses, des compositions diagonales et dynamiques. La beauté des images fait parfois oublier que certains clichés, comme ceux pris lors de la construction du canal Baltique-Mer Blanche, occultent les dizaines de milliers de victimes pour ce projet délirant de Staline.

 

 

Rodtchenko, Collection Musée Pouchkine,
jusqu’au 2 octobre 2017, Musée Unterlinden, place Unterlinden, 68000 Colmar.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°484 du 8 septembre 2017, avec le titre suivant : Rodtchenko, un explorateur sans limites

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