Photographie

FRAC Limousin

Robert Cumming, l’art du lapsus visuel

Onze années de photographie

Par Michel Frizot · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1994 - 579 mots

Robert Cumming ne fait plus de photographie depuis 1980 ; du moins il ne construit plus une œuvre artistique avec la photographie. Pour lui, qui fut californien pendant toutes les années 70, après des études dans l’Illinois, l’art s’entendait aussi comme art de vivre – tant la création apparaissait alors comme une activité liée au quotidien, à l’analyse des faits et gestes individuels ou sociaux, à ce qui lie le \"penser\" à chaque action ou à chaque chose vue.

LIMOGES - La photographie et ses techniques adjacentes avaient été annexées par le pop-art dans les années 60. Autour de 1970, le refus des jeunes artistes de produire davantage d’objets de la société de consommation les amenait à n’utiliser la photographie que comme un moyen de dresser un constat, un compte-rendu, un procès-verbal d’un instant, ou d’un fait, considéré comme une création artistique.

L’art ne résidait plus, pour ces "conceptuels" ou assimilés, dans la contemplation de ce qu’on avait fabriqué, mais dans la conception, l’élaboration d’idées ou d’événements improbables, dont seule la photographie permettrait de rendre compte, dans l’instant même de leur déroulement. Et le meilleur véhicule n’était pas l’exposition, mais le livre d’artiste (Picture Fictions, 1971 ; A Discourse on Domestic Disorder, 1975).

Des "tricks"
Robert Cumming appartient à un groupe d’artistes californiens (souvent plus connus que lui) pour qui la photographie était ainsi le médium privilégié : Wegman, Heinecken, Baldessari, Huebler, Ruscha... Mais il a une démarche très spécifique, qui dut paraître à l’époque un peu hermétique et trouvera meilleur écho aujourd’hui dans le regard facétieux et frondeur de la jeune génération. Ses photographies s’apparentent à des "tricks" – des trucs ou des blagues –, des mots d’esprit ou des jeux de mots, presque des lapsus – ce qui échappe par inadvertance, mais se découvre révélateur d’un état caché.

Il n’y a pas de genre canonique chez Cumming, ou de ligne directrice, c’est-à-dire que les photographies n’obéissent pas à un principe unique. Chaque pièce est à aborder avec un œil neuf, attentif au détail aussi bien qu’à la légende – qui est parfois une clé – mais il n’y a toutefois rien de codé, ou si peu, rien qui ne puisse être détecté : tel que Trick Shot qui "semble" montrer un pilier blanc volant en éclats (invisiblement tenus par des fils). Ces photographies sont, en fait, non des images à simplement regarder, mais des petites machines à faire raisonner ensemble œil et méninges, des machines à contraindre les neurones dans des voies inaccoutumées.

Beaucoup de pièces sont des diptyques photographiques, qui fonctionnent sur un mode avant / après, ou devant / derrière, visible / invisible, possible / vraisemblable, un peu vrai / un peu faux... ou une simple alternative mentale (Deux explications pour une petite mare divisée).

Les photographies de Cumming matérialisent des faits de langage (la linguistique étant une des grandes préoccupations de l’époque), mais elles nous parlent aussi de cet autre fait de langage qu’est la photographie, le médium le plus proche de la parole. Elles nous parlent de la vérité des images – comme de celle du langage – de la difficulté à comprendre, de la distance entre ce qui est dit et ce qui s’est passé, de la crédulité toujours piégée par un manque d’attention. Et nous rappellent constamment, avec ironie, que nous n’y voyons que ce que nous y cherchons.

\"Robert Cumming : l’œuvre photographique, 1969-1980\"

F.R.A.C. Limousin, Impasse des Charentes - 87100 Limoges, jusqu’au 29 octobre. Catalogue 180 p., 180 F.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Robert Cumming, l’art du lapsus visuel

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