Rimini, beau comme l’antique

La résurrection d’un passé glorieux

Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 1142 mots

Centre de la Renaissance humaniste et de la redécouverte de l’Antiquité sous le règne de Sigismond Malatesta, Rimini se penche à nouveau sur son passé. La ville vient d’achever la restauration du Tempio Malatestiano, l’une des rares réalisations de Leon Battista Alberti, le grand architecte et théoricien de la première Renaissance italienne, féru d’art antique. À l’intérieur, les travaux de nettoyage ont révélé des restes de décors peints et permis de mieux comprendre le programme ornemental, confié à Agostino di Duccio. Au Palazzo del Podestà, c’est la culture picturale romaine – de la période républicaine aux débuts du christianisme – qui fait l’objet d’une vaste reconstitution, à travers un ensemble superbe de fresques et d’objets peints.

Des tabulae, ces peintures sur bois à l’encaustique si répandues dans la Rome antique, que Vitruve, Pline l’Ancien et Pétrone comparaient aux chefs-d’œuvre contemporains du dernier style pompéien, pratiquement rien ne nous est parvenu. Cependant, les magnifiques exemples de fresques trouvées à Pompéi ou dans la Domus Aurea de Néron, et dont les premiers collectionneurs ont détaché maints fragments, offrent un précieux aperçu de l’art pictural romain.

Grâce à des prêts tout à fait exceptionnels, le Palazzo del Podestà a réussi à réunir environ 150 œuvres du IVe siècle av. J.-C. au IXe siècle de notre ère, représentatives de la “grande peinture” ou de la peinture décorative et architecturale, ainsi qu’une petite sélection de motifs réalisés dans d’autres techniques, comme la mosaïque et les incrustations de marbres. Le problème du décor appliqué aux sculptures est également abordé à travers une dizaine d’exemples.

Cette confrontation très complète de pièces – parfois fameuses, comme Terentius Neo et sa femme, la Distribution de pain, ou encore la Peinture aux canards et aux antilopes de la Villa des Papyrus à Herculanum, parfois inédites, tels ces trois portraits sur panneau du Fayoum – illustre magistralement l’évolution artistique de la peinture romaine, depuis ses prémices italiques jusqu’aux premières représentations chrétiennes, en passant par les phénomènes d’acculturation de la Rome impériale.
Entrecroisant chronologie et thématique, le parcours met en valeur la diversité des genres pratiqués dans l’Antiquité, du portrait aux natures mortes, des paysages urbains aux scènes christologiques, en passant par les inscriptions de propagande électorale, de publicité, voire de colportage des ragots. Parallèlement, l’exposition s’intéresse aux constantes et aux variantes iconographiques d’un même thème – “Eros et les putti”, par exemple – et aborde des questions techniques, comme les pigments utilisés, les outils des peintres, les processus de création et l’organisation des ateliers.

Enfin, le public peut visualiser le riche décor des villas romaines de l’époque antonine (96-192 ap. J.-C.), grâce à la reconstitution complète du couloir d’une domus de la piazza del Cinquecento et d’une pièce d’habitation de la piazza Sonnino.

Le retour à l’Antique
S’il est désormais possible d’imaginer à quoi ressemblait la peinture romaine, tel n’était pas le cas au milieu du Quattrocento. Les artistes puisent alors leur répertoire de formes classiques exclusivement dans l’architecture et la sculpture, comme en témoigne le Tempio Malatestiano : les restes de décoration peinte intérieure, révélés grâce à une récente restauration, portent encore nettement la marque de l’esthétique gothique internationale, en contraste avec les sculptures voisines et l’architecture extérieure.

En 1447, Sigismond Malatesta, seigneur de Rimini, décide de transformer en panthéon antique l’église de San Francesco, élue lieu de sépulture par la dynastie depuis le XIIIe siècle. Pour l’enveloppe extérieure, destinée à masquer l’édifice gothique, il fait appel à l’architecte humaniste Alberti. Celui-ci s’inspire de l’arc de triomphe d’Auguste, à Rimini, pour concevoir la façade – inachevée – derrière laquelle devaient prendre place les sarcophages de Sigismond et de sa maîtresse Isotta degli Atti. Des niches sont aussi aménagées sur les côtés extérieurs pour recevoir les tombeaux des poètes de la cour. Une série de grandes arcades reposant sur des pilastres donne un rythme vigoureux à l’ensemble.

La mise au goût du jour de l’intérieur, décidée en 1449, est également confiée à des artistes prestigieux : le Véronais Matteo de’Pasti et le Florentin Agostino di Duccio. En une décennie, jusqu’à l’ébranlement du pouvoir de leur commanditaire, ils réalisent le décor des six premières chapelles. Le programme iconographique conçu en collaboration avec des savants humanistes, reflète la culture néoplatonicienne de l’époque. Des correspondances thématiques sont établies entre les chapelles de part et d’autre de la nef : aux Vertus répondent les Sibylles et les Prophètes, aux anges musiciens de la chapelle d’Isotta font écho des représentations de jeux d’enfants, et les Arts libéraux trouvent un prolongement dans l’évocation des planètes et des signes du zodiaque, assimilés à des qualités intellectuelles ou à des tempéraments.

Sept ans de restauration
Cette belle scénographie a été rendue plus lisible grâce à la restauration complète de l’édifice. Étalée sur sept ans, celle-ci est le fruit de la collaboration financière de trois institutions : le Diocèse, la surintendance aux Biens architecturaux et la Fondation de la Caisse d’épargne de Rimini. À l’extérieur, les restaurateurs ont nettoyé le parement de pierre – démonté et recomposé avec une surabondance de mortier et de ciment dans les années cinquante –, en veillant à conserver les traces de peintures présentes au niveau des arcades et des tondi.

En 1994, l’intervention s’est étendue à l’intérieur. Elle a surtout permis de mettre au jour des fragments du décor pictural originel, dissimulés sous les enduits. Dans la chapelle “des Jeux d’enfants”, ainsi nommée pour ses bas-reliefs où des putti joueurs célèbrent le triomphe de Sigismond Malastesta en brandissant ses emblèmes, le décor mural est de goût gothique. De même, l’imitation d’un brocart dans la chapelle “des Arts libéraux” tranche avec les 18 bas-reliefs d’inspiration antique représentant Apollon et des figures allégoriques féminines. Le mur gauche de la chapelle Sigismond a également révélé de petits fragments d’un drapé orné de décors végétaux.
Enfin, dans la chapelle dédiée à l’archange saint Michel, ont été retrouvés sur le sarcophage d’Isotta des tracés de motifs architecturaux et de figures d’anges. Il s’agit peut-être d’esquisses pour un projet décoratif jamais réalisé.

A voir

ROMANA PICTURA. LA PEINTURE ROMAINE DES ORIGINES À L’ÉPOQUE BYZANTINE, jusqu’au 30 août, Palazzo del Podestà e dell’Arengo, Piazza Cavour, tél. 39 541 78 31 00, tlj sauf lundi 9h-19h.
LE MOYEN ÂGE FANTASTIQUE ET COURTOIS, jusqu’au 31 janvier 1999, Museo della Città, via Cavalieri 26, tél. 39 541 55414. Horaires d’été jusqu’au 13 septembre : mardi et dimanche 10h-12h30 et 17h-19h30, mercredi 17h-19h30, jeudi et vendredi 17h-19h30 et 21h-24h, samedi 10h-12h30, 17h-19h30 et 21h-24h.Au Museo de la Città, récemment restauré, 300 sculptures, peintures, manuscrits et objets d’art, produits à Rimini entre les XIe et XVe siècles, retracent l’histoire artistique et politique de la ville : les restes d’un monumental portail roman, des médailles de Pisanello, des œuvres de Piero della Francesca, Agostino di Duccio, Giovanni Bellini et Domenico Ghirlandaio, ou les écrits militaires du Valturio.
TEMPIO MALATESTIANO, via Quattro Novembre 35, tél. 39 541 511 30, tlj 8h-12h30 et 15h30-18h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Rimini, beau comme l’antique

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