DESIGN

Richard Sapper

L’âme de couteaux

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2008 - 654 mots

Savez-vous qui est le premier cuisinier professionnel de l’Histoire ? Guillaume Tirel, dit « Taillevent », en raison, paraît-il, d’un énorme nez qui fendait l’air.

L’homme (né vers 1310 – sa date de naissance exacte n’est pas connue – à Pont-Audemer et mort à Hennebont en 1395) fut « enfant de cuisine » de Jeanne d’Évreux, « queux » du Roi Philippe de Valois et duc de Normandie, premier queux – « chef des cuisines » – de Charles V, enfin « Maistre des garnisons de cuisine du Roi » de Charles VI. Taillevent serait l’auteur, au milieu du XIVe siècle, de l’un des plus anciens livres de cuisine rédigé en français et sur un parchemin. Son titre : Le Viandier. Outre ses recettes médiévales, l’ouvrage évoque également les instruments nécessaires à l’élaboration des mets, notamment les divers couteaux « à trancher » et « à viande ».
Aujourd’hui, la panoplie du parfait cuisinier ne peut se passer de trois modèles essentiels : le couteau chef, le petit couteau « tranchelard » et le couteau de table « côte à l’os ». Le premier, dit aussi « coutelas », exprime à l’envi l’idée du couteau primaire du grand chef (longueur de la lame : 30 cm). On dit que le second, au contraire, s’avère être plus conforme aux exigences féminines (longueur de la lame : 21 cm). Le troisième, enfin, le couteau de table « côte à l’os », est un spécimen multitâches, à la fois adapté à toutes les situations de cuisine et indispensable à la préparation de la table, quand figurent au menu des viandes délicates, avec ou sans os. L’affilage de ce dernier – longueur de la lame : 11 cm – doit donc être parfaitement lisse, afin de permettre une découpe précise et sans bavure de la chair.

Constellation coutelière
C’est à partir de ce triumvirat de base que le designer Richard Sapper a dessiné, pour l’éditeur transalpin Alessi, une nouvelle gamme de couteaux de cuisine baptisée « La Ceinture d’Orion », du nom de la constellation peut-être la plus connue du ciel. Rappelons, en outre, que, dans la mythologie grecque, Orion est ce chasseur légendaire qui se vantait de pouvoir tuer n’importe quel animal. Hormis les trois indispensables lames auparavant citées, Richard Sapper en a imaginé cinq autres : un petit couteau d’office dit « chef », un couteau d’office à légumes, un couteau dit « filet de sole », un couteau à découper, ainsi qu’un couteau à pain. Leurs formes sont, on ne peut plus, rigoureuses. On dirait que ces ustensiles de cuisine sont, en fait, tout droit sortis d’une boîte à outils. Sans doute est-ce parce que Sapper « l’industriel » – né en 1932 à Munich mais installé à Milan depuis 1958, il fut notamment consultant pour Fiat, Pirelli et IBM – les a justement pensés avec l’exigence de précision qui sied aux outils professionnels. Aucune fioriture donc, mais une extrême attention à l’ergonomie.
La lame est en acier. Le manche, lui, est fabriqué en polyacétal, un matériau thermoplastique à base de polyoxyméthylène (POM), qui offre deux avantages : solidité et rigidité. À n’en point douter, ledit manche joue un rôle primordial dans la construction même de l’objet. Sa surface est, par endroits, texturée. Une encoche, située juste avant la jonction avec la lame, permet à l’index de venir s’y caler. Enfin, il est proportionnel à la taille et au poids de la lame. Cet équilibre subtil assure ainsi une plus grande maniabilité et une meilleure prise en main. Bref, l’auteur des désormais mythiques chaises pour enfant K1340 (Kartell, 1961), radio portable TS 502 (Brionvega, 1964) et lampe de bureau Tizio (Artemide, 1972) devrait séduire sans peine les chefs et autres gastronomes avertis.

La gamme de couteaux « La Ceinture d’Orion » éditée par Alessi comprend huit modèles, de 27 à 82 euros, et, pour les ranger, un bloc couteaux en bois de hêtre à 99 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°280 du 25 avril 2008, avec le titre suivant : Richard Sapper

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