SAINT-PAUL-DE-VENCE
Le parcours non chronologique permet de mieux saisir la personnalité complexe de l’artiste à l’œuvre prolifique.

Saint-Paul-de-Vence. Hélène Delprat est entrée à la galerie Maeght en 1985, à l’issue de sa résidence à la Villa Médicis. L’exposition s’ouvre justement sur l’une des œuvres réalisées à Rome, Ulysse et Calypso (1983). Une rencontre étrange entre Le Rêve (1910) du Douanier Rousseau et un esprit plus expressionniste. Une œuvre colorée, hédoniste et joyeuse d’une part, sombre, agitée, inquiétante de l’autre. Deux facettes d’une même personne qui dans les mains de la commissaire d’exposition, Laurence Bertrand Dorléac, laisse au spectateur la possibilité de jouer avec les faux-semblants.
La commissaire, pourtant historienne, s’est passée de la chronologie pour entrer dans l’œuvre d’une manière plus sensible. Peut-être aussi parce que la chronologie de l’œuvre d’Hélène Delprat est complexe. En 1995, elle sort de ses sentiers en frayant avec la radio, le théâtre et la vidéo, sans pour autant abandonner la peinture.

Les œuvres présentées couvrent la période 1983-2024. Dans chaque salle, un texte guide le visiteur sans non plus l’assommer de bavardages. La première, « Tout l’arsenal de la peinture », se veut un autoportrait de l’artiste, mettant en évidence son univers, sa « cuisine » picturale. Le visiteur découvre une toile de près de 10 mètres de long – La bataille de San Romano camouflée (2018) (voir illustration). Hélène Delprat rejoint ici ceux qui se sont confrontés au chef-d’œuvre de Paolo Uccello. Elle crée une danse aussi macabre que jubilatoire. En face, Autoportrait en peintre méchant et Autoportrait catastrophique (2024) éclairent avec pertinence la méthode du peintre : onirisme, ironie, emprunts à la modernité, collage… Une peinture nourrie de l’histoire de l’art sans être pour autant citationnelle, à l’instar de Bonjour Monsieur Courbet (2019). Plus loin, l’ensemble des gouaches sur papier (1992-1999) introduit le langage. Les titres, Portrait Pourri ; Enfers et Le bon goût français, traduisent toute l’ambivalence de l’artiste face à sa peinture, les doutes permanents du peintre face à son œuvre.

La section « En fuite » donne à voir des œuvres dont la noirceur illustre la gravité et la dualité d’Hélène Delprat. Ainsi With my voice, I’m calling you (2016) est peuplée de fantômes, de limaces et/ou de serpents noirs menaçants. La section « Les amazones » fait quant à elle écho au temps présent, notamment à la montée des nationalismes en Europe. Si l’œuvre de Delprat est fortement marquée par l’onirisme, elle n’est pas pour autant coupée du réel d’aujourd’hui. Les personnages ailés sont armés, certains déjà défunts. Un masque ibérique convoque Les demoiselles d’Avignon, mais ne faut-il pas plutôt y lire une référence à Guernica, et à la guerre ?
L’avant-dernière salle opère un retour dans le passé, les œuvres des débuts (1982-1983) sont ainsi présentées en fin de parcours. Ce sont des peintures d’une grande liberté. Les coups de pinceau sont expressionnistes, vifs et nombreux, les couleurs chatoyantes. Ces œuvres évoquent à la fois le fauvisme et l’univers d’Ernest Ludwig Kirchner. Nourries de récits mythologiques, elles diffèrent de celles présentées dans la première et la dernière salle de l’exposition. Celles-ci volontairement parées de paillettes jouent avec l’idée du bon et du mauvais goût – celui attribué à la culture populaire. Enfin, Personne (2024), autoportrait de l’artiste, clôt le parcours. L’exposition peut se parcourir dans les deux sens, en commençant par la sortie.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : Retour sur l’œuvre d’Hélène Delprat à la Fondation Maeght