Photographie

Renger-Patzsch, la force des choses

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2018 - 520 mots

Le Jeu de paume propose une anthologie de l’œuvre du photographe allemand, dont l’apparente simplicité souligne le potentiel.

Paris. Longtemps la parenté de l’œuvre de Bernd et Hilla Becher n’a retenu en Allemagne que les noms d’Eugène Atget, August Sander et Karl Blossfeldt, rappelle le photographe et curateur Stephen Groner dans son texte Un difficile héritage publié dans le catalogue de la rétrospective Albert Renger-Patzsch. « L’omission d’Albert Renger-Patzsch est à relier, écrit-il, à la critique de Walter Benjamin (et de Bertolt Brecht) de son livre Die Welt ist schön (Le monde est beau) », paru en 1928. Il y exprime son désir de représenter l’essence atemporelle d’un objet ou d’un sujet, qu’il s’agisse d’une plante, d’un animal, d’un paysage ou d’une construction. Le retour de Stephen Groner sur les développements récents Outre-Rhin de travaux sur l’importance de Renger-Patzsch pour la photographie en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale en dit long sur l’évolution de la vision de l’œuvre de cette figure de la Nouvelle Objectivité et de ses liens avec l’École de Düsseldorf. « La thèse de Susanne Lange sur les Becher a été la première il y a douze ans à relever certaines ressemblances dans le choix de leurs motifs », relève-t-il. Au Jeu de paume la rétrospective Renger-Patzsch que signe Sérgio Mah, historien de la photographie et critique d’art portugais, illustre de manière éloquente les nouvelles approches de l’œuvre.

Produit par la Fundacion Mapfre, où elle a été d’abord présentée, son récit riche en photographies inédites rééclaire en effet l’attention constante portée par Renger-Patzsch aux structures et aux formes du sujet photographié qui ne sont pas, de fait, sans rappeler la démarche des Becher ou de Thomas Struth. Du début des années 1920 aux années 1960 à 1962, la convocation des différentes périodes exprime, dans une concision éloquente et une sélection resserrée de tirages, ce souci permanent du cadrage simple, de l’image parfaitement contrôlée dans son tirage pour reconstituer la nature formelle du sujet dans une neutralité délibérée et un nuancier de gris vertigineux.

« L’architecture de l’image est volontairement dépourvue de marque expressive, de tout contenu narratif et psychologique », souligne Sérgio Mah. Portraits de plantes, d’arbres, d’animaux ou d’objets industriels, paysages urbains ou industriels, Renger-Patzsch isole, « aplatit l’image fermée et opaque, sans profondeur ni horizon ». La transformation d’Essen ou de la Ruhr industrielle dans l’entre-deux-guerres forme un fabuleux terrain de recherche formelle plus que documentaire, bien que rétrospectivement les photographies de cette période portent aussi cette dimension. Au titre Die Welt ist schön, Albert Renger-Patzsch aurait préféré Die Dinge (Les Choses). C’est justement ce dernier, Les choses, qu’a retenu Sérgio Mah pour bien souligner cette approche, mais également élargir le champ d’investigation du photographe allemand en ce domaine. En particulier en matière de paysage et de nature, « genre fécond chez Renger-Patzsch, auquel s’est peu intéressée l’avant-garde artistique des années 1920-1930 », note-t-il. Forêts de chênes, de hêtres ou de sapins des années 1920 ou des années 1940-1960 condensent pourtant la même sensibilité picturale. La vision est troublante, mais non dépourvue de sens chez un homme qui, de bout en bout de son existence, a été en prise avec la force des choses.

 

Albert Renger-Patzsch. Les choses,
jusqu’au 21 janvier 2018, Jeu de paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris, www.jeudepaume.org

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°492 du 4 janvier 2018, avec le titre suivant : Renger-Patzsch, la force des choses

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