Art moderne

Rendez-vous manqué avec les Thannhauser

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2019 - 542 mots

En ne présentant que des œuvres liées aux Thannhauser, père et fils, et non l’ensemble donné par le marchand au musée Guggenheim, l’hôtel de Caumont se prive d’un propos abouti.

Aix-en-Provence. Bien qu’elle ne soit pas la plus belle du monde, la collection Thannhauser, conservée à la Fondation Solomon R. Guggenheim de New York est intéressante à plus d’un titre. D’abord, elle recèle quelques œuvres importantes comme Devant la glace (1876) [voir illustration] de Manet ou Montagnes à Saint-Rémy (1889) de Van Gogh. En deuxième lieu, elle raconte l’histoire de son propriétaire, le grand marchand d’art Justin K. Thannhauser (1892-1976), ses goûts, sa place dans la vie artistique de son temps. En léguant cette sélection d’œuvres à son pays d’adoption (en dépôt depuis 1965, elle est entrée en 1978 au musée, sa veuve complétant cette donation en 1984, puis en 1991), il déclare : « Je suis convaincu que ces 75 tableaux ont une unité que l’on ne trouve dans aucun autre musée. Ils couvrent soixante-quinze à cent ans, et pour moi, il y a une continuité entre les uns et les autres. »

Après Bilbao, le Musée Guggenheim prétend montrer à Aix-en-Provence cette collection, qui n’a pas voyagé depuis 1965, dans le cadre plus large de l’histoire des Thannhauser : Justin et son père, Heinrich, le fondateur des galeries portant son nom. Mais la cinquantaine de toiles, de dessins et de sculptures qu’on peut y voir, appartenant au musée et rassemblés par Megan Fontanella qui y est conservatrice, n’est pas l’ensemble donné par Justin Thannhauser. Nulle part il n’est fait mention des œuvres qu’il a léguées au Guggenheim et restées à New York ou vendues par la fondation. Or, il n’est pas indifférent que le marchand d’art ait inclus dans sa sélection Toulouse-Lautrec, dont le pastel Le Salon (1893) n’a pas voyagé et n’est pas évoqué, les deux panneaux de Place Vintimille (1909-1910) d’Édouard Vuillard, qui ont été présentés à l’étape de Bilbao, mais ne sont pas à Aix, et les peintres Daumier, Rouault, Soutine et Modigliani, dont les œuvres ont été vendues.

Sur la route du Guggenheim

Pour raconter la vie des Thannhauser, la commissaire présente des œuvres du Guggenheim en rapport avec eux, parce qu’elles sont passées dans leurs galeries ou leurs possessions personnelles. C’est le cas des Joueurs de football (1908) du douanier Rousseau, acheté, puis revendu par Justin et acquis par le musée en 1960, ou de La Route tournante en sous-bois (vers 1873-1875) de Cézanne qu’a possédé Justin, mais qui n’est entré au Guggenheim qu’en 1980. Pour d’autres tableaux, aucun rapport n’est établi avec les Thannhauser : c’est le cas de Paysage de Céret (1911) de Picasso, qui illustre le thème de sa grande amitié avec Justin.

Ces approximations désorientent le visiteur qui a le sentiment qu’on veut surtout lui donner un aperçu des richesses du musée new-yorkais en art européen de la fin du XIXe siècle et du début XXe siècle. Et pourtant, la plupart de ces œuvres auraient eu leur place dans une présentation plus ambitieuse des Thannhauser, de leur importance dans le marché de l’art et de leur destin, notamment à l’époque nazie, pour peu qu’un effort ait été fait en sollicitant d’autres prêts d’institutions ou de particuliers. Une telle exposition aurait passionné les Européens.

Chefs-d’œuvre du Guggenheim. De Manet à Picasso, la collection Thannhauser,
jusqu’au 29 septembre, Hôtel de Caumont, 3 rue Joseph Cabassol, 13100 Aix-en-Provence.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°526 du 21 juin 2019, avec le titre suivant : Rendez-vous manqué avec les Thannhauser

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