Photographie

Henri Cartier-Bresson et Paul Strand

Regards croisés

Par Gisèle Tavernier · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2012 - 832 mots

Les clichés sur le Mexique de Cartier-Bresson et Strand réunis le temps d’une exposition sont l’occasion de confronter les identités propres à chaque photographe.

PARIS - Figures gauchistes de la photographie moderne, le Français Henri Cartier-Bresson (1908-2004) et l’Américain Paul Strand (1890-1976) se sont-ils rencontrés au Mexique entre juillet et décembre 1934 ? À ce jour, rien ne l’atteste. Dans l’agitation révolutionnaire du pays, l’un, jeune artiste de 27 ans, trouve sa voie, l’autre, arrivé en 1932, redéfinit son style à l’âge de 42 ans. Sous forme de regards croisés, l’exposition « Henri Cartier-Bresson/Paul Strand, Mexique, 1932-1934 » qu’organise la Fondation Henri Cartier-Bresson souligne  les approches opposées de l’acte photographique par le tenant de « l’instant décisif » et le pionnier de la straight photography (sans artifices). Chacun s’essaiera au film engagé, tandis que leurs portraits et paysages renvoient l’image d’un Mexique idéalisé.

Plus flamboyant qu’à Moscou, le communisme attire à Mexico une intelligentsia cosmopolite, dont  le New-Yorkais Paul Strand à l’automne 1932. Formé en 1907 par le documentariste du social Lewis Hine à la « New York Ethical Culture School », le photographe part au Mexique se consacrer au documentaire social après sa rupture  avec sa femme Rebecca, mais aussi une brouille avec le galeriste moderniste pionnier Alfred Stieglitz qui l’a révélé en 1916 à la galerie 291, lieu phare de la Photo Sécession.

Strand l’activiste
D’emblée, son exposition sur le Nouveau-Mexique (USA) présentée en 1933 au Secrétariat de L’Éducation est un succès à Mexico. « Toutes sortes de gens venaient ici : des policiers, des soldats, des femmes indigènes avec leur bébé, etc., Je n’ai jamais eu un tel public, nulle part », s’émeut Strand l’activiste. L’auteur du film Manhattan  (1920) va exalter la rébellion de pêcheurs opprimés dans son documentaire fiction Redes tourné entre 1933 et 1934 pour le compte de l’État. Le public américain découvre ce film en 1937 (sous le titre The Ware),  que le magazine Life dénonce  : « Un photographe américain fait un film de propagande pour Mexico ». Sa fascination pour  la culture indigène, mène Strand à multiplier des études formelles frontales qui campent avec dignité le peuple de la rue. Cette série de tirages d’époque confrontée au portfolio « Photographs of Mexico » (1940) recense, en pleine réforme agraire, des femmes au regard éteint telles que « Fille au châle, Mexique, 1933 », des paysans en sombreros à l’air résigné, des gamins mélancoliques. « Le retour de Strand au portrait revendiquant le sujet anonyme fait ressortir toute la richesse de l’humain dans le quotidien. Ce travail mexicain instaure un modèle qu’il développera dans sa série La France de profil (1950-1951) et avec plus d’éloquence dans ses livres de photo », souligne Mauricio Maillé, directeur des Arts Visuels à la Fundacion Televisa (Mexico) qui a prêté des images. Plus inattendue apparaît une série de portraits expressifs de Madone et de Christ. « Ces sculptures sont très vivantes car elles reflètent la foi intense de ceux qui les ont faites. (...) Une forme de croyance (...) qui doit disparaître. Toutefois, le monde a besoin d’une foi aussi intense, mais en quelque chose de plus réaliste », écrit ce militant marxiste.

Le jeune Cartier-Bresson
Débarquant au Mexique en 1934, Cartier-Bresson, plus libre dans son art, croit d’abord en lui. Ce fils de famille s’enorgueillit des photos exposées pour la première fois en 1933, à l’âge de 25 ans, chez Julien Lévy à New York. Arrivé à Mexico dans le cadre d’une mission  ethnologique qui se voit ajournée, il choisit de rester gagner sa vie en monnayant son vécu : des scènes surréalistes, des instantanés souriants de prostituées sont assortis d’inédits non documentés tels qu’un nu de Lupe Marin, sa compagne.

De retour à New York en 1935, il change d’outil :« l’œil du siècle » qui réalisera Victoire de la Vie (1937) ou L’Espagne vivra (1938) se forme au cinéma avec Strand au sein du groupe activiste New-Yorkais Nykino. L’histoire ne consacrera que leur génie photographique distinct. « Cartier-Bresson dit que la photographie saisit un moment décisif. C’est tout à fait juste sauf que cela ne doit pas être pris de façon trop étroite. Par exemple est ce que ma photo de la toile d’araignée est un moment décisif ? Le temps de pause était probablement de trois à quatre minutes. (…) Je dirais que le moment décisif dans ce cas fut le moment où j’ai vu cette scène et où j’ai décidé de la photographier (…) », définissait Paul Strand.

HENRI CARTIER-BRESSON / PAUL STRAND, MEXIQUE 1932-1934

Commissaire : Agnès Sire, directrice de la fondation Henri Cartier-Bresson
Nombre d’œuvres : 90 tirages noir et blanc

Jusqu’au 22 avril, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2 impasse Lebouis, 75014 Paris, tél 01 56 80 27 00, www.henricartierbresson.org, mardi au dimanche 13h à 18h, le samedi 11h à 18h45, mercredi nocturne gratuit de 18h30 à 20h30.
90 tirages en noir et blanc
catalogue « Henri Cartier-Bresson, Paul Strand, Mexique, 1932-1934 », Agnès Sire et essai par Clément Chéroux, Steidl. 176 pages, 35 euros. ISBN 978-3-86930-422-9

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°362 du 3 février 2012, avec le titre suivant : Regards croisés

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