Art ancien - Église - Musée

Quand les églises entrèrent dans les musées

Par Bertrand Dumas · L'ŒIL

Le 21 janvier 2013 - 1126 mots

Deux expositions, à Paris et à Nantes, remettent sous la lumière un pan de l’histoire des tableaux des églises parisiennes, de leur commande au XVIIe siècle à leur transfert dans les musées après la Révolution.

Les églises parisiennes retrouveront-elles bientôt leur aura et leur public ? Ce pourrait être l’heureuse incidence des expositions « Les couleurs du ciel », qui se tient actuellement au Musée Carnavalet, et « Splendeurs sacrées », qui s’achève au Musée des beaux-arts de Nantes, sur le thème commun des « Peintures des églises de Paris au XVIIe siècle ».

Ce double coup de projecteur sur ce pan méconnu du patrimoine parisien révèle son incroyable richesse et rappelle aux visiteurs son accessibilité quasi permanente. Ceux-ci sont d’ailleurs invités à découvrir les décors d’églises restaurés pour l’occasion grâce au judicieux partenariat noué avec trois paroisses parisiennes impliquées dans l’opération.

L’occasion est rare depuis que la plupart des tableaux d’églises parisiennes du XVIIe siècle ont élu domicile au musée après la Révolution. À Nantes, leur présentation temporaire dans la chapelle de l’Oratoire a été une réussite en ce qu’elle restituait aux œuvres d’art déplacées une part de leur essence divine. À Carnavalet, gravures et dessins anciens replacent les tableaux orphelins au centre des retables dont la perte a profondément brouillé le sens. Cette question de la perception des œuvres d’art sacré, privées de leur contexte, est au cœur de ces deux expositions passionnantes. La réunion exceptionnelle de ces tableaux d’églises montre que la peinture religieuse était aux avant-postes des mutations stylistiques que connut la peinture française tout au long du Grand Siècle.

Renouveau spirituel
Simon Vouet, les frères Le Nain, Philippe de Champaigne, les plus grands peintres du XVIIe siècle ont composé pour les églises parisiennes. Les commandes affluaient de toutes parts. Des ordres religieux d’abord, dont ceux qui s’étaient alors implantés dans la capitale à la faveur du renouveau spirituel encouragé par la Réforme catholique, issue du concile de Trente. À l’avènement d’Henri IV, qui mit fin aux guerres de Religion, Paris comptait une vingtaine de communautés religieuses. Un siècle plus tard, à la mort de Louis XIV, elles sont plus d’une centaine, avec chacune son église et ses bâtiments conventuels que les artistes prirent soin d’embellir. L’apogée de ces fondations coïncide avec le règne de Louis XIII, roi très chrétien, qui avait confié, en 1638, la protection du royaume à la Sainte Vierge.

Cette fièvre bâtisseuse gagna aussi l’élite sociale qui occupait les plus hautes charges de l’État. La commande artistique devint un moyen pour elle d’affirmer sa puissance. Ainsi, de 1630 à 1642, François Sublet de Noyers, secrétaire d’État à la Guerre, finança-t-il, à lui seul, la construction de l’église du Noviciat des jésuites qui employa à sa décoration les peintres les plus en vue du moment, tels que Nicolas Poussin, Jacques Stella et Simon Vouet. Cet ambitieux mécénat ne faiblit pas sous la régence et le règne personnel de Louis XIV, qui vit sortir de terre le couvent du Val-de-Grâce et l’hôtel des Invalides. Ces monuments couronnés par des églises font l’objet de sections indépendantes dans le parcours de l’exposition parisienne. Il en va de même des « Mays » de Notre-Dame qui illustrent un autre type de mécénat laïc, celui des confréries de dévotion et de métier. Celle des orfèvres offrait, chaque année au mois de mai, une peinture au chapitre de la cathédrale. La tradition s’échelonna de 1608 à 1707, constituant, à terme, une « collection » unique de peintures dont le rassemblement constituait un panorama continu de la peinture française du XVIIe siècle. Les « Mays » de grande taille ne pouvant être déplacés, ils sont représentés à Carnavalet par leurs modelli. En tout, une dizaine.

Des églises aux musées
Les bâtiments religieux et les milliers d’œuvres qu’ils abritaient ont terriblement souffert du vandalisme révolutionnaire. On en mesure l’ampleur au nombre des tapisseries détruites qui ornaient, durant l’Ancien Régime, le chœur des édifices. Rien qu’à Saint-Merri, l’inventaire des biens de la paroisse recensait pas moins de cent seize tapisseries. Plus une seule ne subsiste, mis à part quelques beaux fragments d’une tenture prêtés par le Mobilier national et le Musée national de la Renaissance d’Écouen. Les autres morceaux servaient encore au XIXe siècle à boucher les trous des fenêtres.

Les tableaux du XVIIe connurent, dans l’ensemble, un sort moins funeste. Après la nationalisation des biens du clergé, en 1789, des milliers de peintures provenant des églises démolies, ou vouées à une autre affectation, sont entreposées dans des lieux de stockage pour être vendues ou transférées au Muséum central des arts, ancêtre du Musée du Louvre. Parmi les œuvres restantes, bon nombre furent choisies par les commissaires de la République pour être envoyées, en 1804 et 1809, dans un des quinze musées créés par le décret Chaptal de 1801, dont le Musée des beaux-arts de Nantes, depuis dépositaire de onze toiles provenant des églises parisiennes. Parmi cet ensemble, le magnifique Repas chez Simon de Philippe de Champaigne ne fut, quant à lui, déposé par le Musée du Louvre qu’en 1982.

Perception modifiée
La restauration récente du Repas chez Simon le Pharisien a montré que le tableau était d’abord cintré, avant d’être mis au format rectangulaire, pour répondre aux nouvelles exigences de son exposition au Musée du Louvre, où il entra en 1815. Ces altérations, comme sa présentation actuelle sur une cimaise, sont fort éloignées de son environnement d’origine, à savoir le réfectoire de l’abbaye du Val-de-Grâce, dont la fonction même justifie le choix du sujet.

La séparation des peintures religieuses de leur contexte premier inquiétait déjà Quatremère de Quincy qui, en 1796, voyait dans l’entrée massive d’œuvres d’art au Musée du Louvre un risque sévère de dénaturation des objets eux-mêmes. Si le retour des peintures d’églises dans leur sanctuaire n’est pas pour l’heure envisagé, ni même souhaité, le visiteur goûtera aux couleurs authentiques du ciel en se rendant à Saint-Eustache, à Saint-Nicolas-des-Champs et à Saint-Joseph-des-Carmes, où de rares décors de chapelles préservés ont été superbement restaurés.

Autour de l’exposition

Infos pratiques. « Les couleurs du ciel – Peintures des églises de Paris au XVIIe siècle », Musée Carnavalet, jusqu’au 24 février 2013, carnavalet.paris.fr

Trésors des églises. Bertrand Dumas, collaborateur de L’œil, est l’auteur chez Parigramme de Trésors des églises parisiennes réédité à l’occasion de l’exposition de Carnavalet. Il y dévoile un « grand musée parisien ignoré » du public où les plus grands artistes, Tintoret, Le Brun, Zurbarán, Delacroix, mais aussi Keith Haring, ont contribué a la réalisation des décors. Églises après églises, l’auteur aborde quatre-vingt-deux œuvres (peintures, sculptures, vitraux et mobiliers) à contempler dans l’atmosphère et la lumière pour lesquelles elles ont été créés. Un patrimoine artistique riche et pourtant méconnu que ce guide invite à redécouvrir (Trésors des églises parisiennes, édition Parigramme, 200 p., 22 €).

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Quand les églises entrèrent dans les musées

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