Histoire - Société

Rituels

Quand le corps devient signe

Par Vanessa Guillaume · Le Journal des Arts

Le 22 octobre 2004 - 656 mots

PARIS

Au Musée Dapper, une exposition est consacrée aux transformations corporelles pratiquées sur tous les continents et à tous les âges.

PARIS - Le Musée Dapper propose de découvrir son exposition « Signes du corps » dans une atmosphère quasi mystique où semblent retentir les chants envoûtants des Indiens d’Amazonie ou des tam-tams africains. Près de cent œuvres, issues entre autres des collections du Musée du Louvre, du Staatliches Museum für Völkerkunde de Munich et de fonds privés, y restituent les couleurs et les coutumes de civilisations d’ici et d’ailleurs, passées ou présentes. Chaque pièce, des cannes cérémonielles du Congo aux statuettes du Tibet en passant par les ornements d’oreilles padung padung d’Indonésie, témoigne des pratiques méconnues et aux origines incertaines que sont le tatouage, la scarification, le branding (procédé de marquage par le feu), l’implantation sous-cutanée, le laquage et l’incrustation des dents, la peinture, le maquillage, la perforation, le façonnage de parties du corps. Exposés dans une obscurité théâtralisée, masques, statues, ornements et autres objets apparaissent un à un, tantôt étranges ou amusants comme les musumusu, figures de proue en bois provenant de Mélanésie, tantôt surprenants voire terrifiants comme le crâne humain agrémenté Munduruku (Brésil), et le colossal Masque-heaume Janus du Nigeria, recouvert de peau d’antilope.
Si son propos est des plus vastes, l’exposition entend surtout faire le lien entre les pratiques d’hier et celles d’aujourd’hui. En effet, « Signes du corps » est né du regard que porte Christine Falgayrettes-Leveau, son commissaire, sur la rue. « De plus en plus de jeunes et de moins jeunes sont adeptes de l’art corporel, qu’il s’agisse de tatouage, de scarification ou de piercing. J’ai donc voulu montrer que ces pratiques que l’on voit se développer en Occident aujourd’hui sont fort anciennes, qu’elles se retrouvent dans d’autres civilisations en Afrique, en Océanie ou en Asie et que, par conséquent, elles doivent être perçues avec tolérance », explique cette dernière. Ainsi le parcours démarre-t-il sur les photographies en noir et blanc sans concession – annoncées comme « les moins dérangeantes » – d’Alain Soldeville, lequel, pendant trois ans, a fréquenté les boutiques de tatouage et de piercing de la capitale à la recherche de modèles. Bien qu’il eût été préférable de découvrir cette salle plus contemporaine en clôture de l’exposition, le pari est réussi pour le photographe qui offre au regard, loin de tout voyeurisme, l’intimité des visages et des corps scarifiés, tatoués, piercés ou « brandés » d’Emma, Michel, Ariane et les autres.
Dès la première salle, où la parole est donnée aux modèles à travers des textes courts, juxtaposés aux portraits, se pose la question qui sous-tend la démonstration : pourquoi faire subir à son corps pareilles souffrances ? S’il existe une grande diversité de transformations corporelles, on leur trouve un plus grand nombre encore de motivations, comme le souligne le professeur de sociologie David Le Breton dans le catalogue de l’exposition : « Les signes corporels sont des traces de démarcation d’avec la nature et les autres communautés d’appartenance, ou la recherche d’une singularité personnelle dans une trame commune. Ils sont susceptibles de revêtir maintes significations, parfois simultanées : sexualisation, nubilité, passage à l’âge d’homme, beauté, décoration, érotisme, fécondité, valeur personnelle, hiérarchie, protection, divination, propitiation, deuil, stigmate… » En somme, ces pratiques seraient affaire d’identité, d’identité pour soi et d’identité pour les autres.
Outre d’abondantes illustrations, le catalogue de l’exposition propose, sous les plumes d’auteurs tels un sociologue, un égyptologue et même un psychanalyste, une exploration de toutes les questions relatives à ce vaste thème. Le chapitre « Arts plastiques et arts du corps, quelques exemples de leurs relations en Océanie », du critique d’art Gilles Bounoure, traite en particulier de la notion d’« arts corporels ».

Signes du corps

Jusqu’au 3 avril, Musée Dapper, 35, rue Paul-Valéry, 75116 Paris, tél. 03 81 62 23 30, www.dapper.com.fr, tlj sauf le mardi 11h-19h. Catalogue, Éditions Dapper, sous la direction de Christiane Falgayrettes-Leveau, 389 p., 45 euros, ISBN 2-915258-05-8.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Quand le corps devient signe

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