Musique

XXE SIÈCLE

Quand la pop musique joue sur le son et la forme

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 7 février 2018 - 769 mots

Le Centre du graphisme d’Échirolles remonte aux origines de la rencontre entre musique et graphisme avec pour point de départ le Summer of Love de 1967. Des liens nourris mutuellement qui ont influencé d’autres domaines de la création.

Grenoble. Comment une pochette de disque peut-elle exprimer une mélodie ou les intentions de son auteur ? À l’heure de la musique dématérialisée, la question pourra certes paraître incongrue. Elle aura en tout cas fait cogiter, durant un demi-siècle, nombre de créatifs de tout poil. C’est ce qu’évoque à l’envi cette séduisante exposition intitulée « Pop Music 1967-2017, Graphisme et musique », déployée, jusqu’au 30 mars, au Centre du graphisme d’Échirolles (Isère). Disposées dans trois salles et autant de périodes (1967-1982 ; 1983-1999 ; 2000-2017), les 1 300 pochettes ici réunies couvrent en particulier l’Europe, le Royaume-Uni et les États-Unis. Le visiteur, lui, a le choix entre deux entrées possibles : d’un côté les musiciens, de l’autre les graphistes.

La date d’origine du parcours, 1967, n’a pas été choisie au hasard. Cette année-là a lieu en Californie l’avènement de la contre-culture hippie, le fameux Summer of Love– dont le premier concert de Jimi Hendrix au Monterey International Pop Music Festival –, et paraît, à Londres, le premier album des Beatles, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. C’est précisément l’époque où les maisons de disques commencent à engager des moyens conséquents pour accompagner la promotion de leur production. L’aspect visuel des pochettes devient déterminant. Pour les élaborer, sont mis à contribution graphistes, photographes, illustrateurs, directeurs artistiques, voire typographes. Chaque courant musical engendre son propre style visuel. Dorénavant intimement liés, musique et graphisme vont, dès lors, profondément influencer d’autres domaines de la création, comme la mode, la presse ou la publicité.

Le panorama ici dressé, est des plus exhaustifs. Une pochette de disque est un monde en soi, à mi-chemin entre la « carte d’identité » et l’œuvre d’art. Miroir de la société du moment et reflet d’ego aussi. Il y a ceux qui s’affichent allègrement (Ramones, Rocket to Russia ; The Police, Reggatta de Blanc) et ceux qui se cachent un brin (Talking Heads, Remain in Light) ou entièrement, tel The Cure, avec l’album Three Imaginary Boys, sur la couverture duquel lesdits « trois garçons imaginaires », invisibles, sont remplacés, non sans ironie et humour, par trois objets insolites : un lampadaire, un frigo et un aspirateur.

Un graphisme pour chaque style musical

À chaque époque, des artistes notoires sont appelés à la rescousse. L’Américain Raymond Pettibon illustre ainsi la pochette Goo de Sonic Youth. Toujours à la pointe de la modernité, la chanteuse Björk s’entoure de la crème des créatifs, dont le duo parisien M/M pour l’identité visuelle. Fan de comics, Janis Joplin a, elle, imposé le dessinateur Robert Crumb pour la couverture de son album Cheap Thrills. Côté photographie, même combat : les artistes Pierre et Gilles réalisent le portrait d’Étienne Daho pour son album La Notte, La Notte, Jean-Paul Goude celui de Grace Jones pour Nightclubbing. Le Velvet Underground pour son premier opus, puis les Rolling Stones pour l’album Sticky Fingers font, eux, carrément appel au pape du pop art, Andy Warhol, concepteur de couvertures aujourd’hui cultes : le dessin d’une banane stylisée et le cliché d’un jean cadré au-dessous de la ceinture, rehaussé par une véritable braguette.

À l’instar d’une marque, certains noms de groupes deviennent des logos. Ainsi en est-il du collectif Chicago né dans l’Illinois, dont la joyeuse calligraphie – entre enseigne de saloon et « néon-écriture »– ornera peu ou prou l’ensemble de la discographie. Si la figuration séduit, l’abstraction aussi. À preuve : l’album de Joy Division, Unknown Pleasures, signé à la fin des années 1970 par le graphiste de Manchester Peter Saville. Ces quelques stries blanches sur fond noir, « transcription graphique des derniers soubresauts d’une étoile qui s’éteint », feront de cette pochette un manifeste.

Lorsque, au mitan des années 1980, la surface de la pochette vinyle est réduite par quatre avec l’arrivée du disque compact, le livret intérieur devient un terrain de jeu supplémentaire pour les graphistes. L’exposition permet d’ailleurs de découvrir quelques acteurs-clés, tels Studio Form, Laurent Fétis, Matthew Cooper ou Vaughan Oliver. Reste que, ne s’improvise pas graphiste qui veut. Pour la couverture de leur album Beggar’s Banquet, les Rolling Stones voulaient la photo du mur des toilettes d’un bar qu’ils avaient graffité. Leur maison de production Decca refusa, exigeant, à la place une pochette toute blanche. Peut-être celle-ci renvoyait-elle au mythique Carré blanc sur fond blanc de Malevitch, chef-d’œuvre du XXe siècle. Pour la grande majorité, elle rappela illico une pochette ivoirine sortie quelques jours auparavant : celle du fameux « album blanc » des Beatles, leurs meilleurs « ennemis » musicaux…

informations

Pop music 1967-2017, graphisme et musique,

jusqu’au 30 mars, Centre du graphisme, place de la Libération, 38000 Grenoble.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°494 du 2 février 2018, avec le titre suivant : Quand la pop musique joue sur le son et la forme

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