Thématique

Quand la modernité débarque au Havre

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2008 - 654 mots

Le Musée Malraux, au Havre, retrace l’apparition thématique du port moderne, des docks et de ses dockers, dès le XIXe siècle.

LE HAVRE - Le XIXe siècle ou l’industrialisation à son apogée : la machine à vapeur, le chemin de fer, l’électricité, l’architecture de fer et de verre, l’automobile… En prise sur leur temps, les artistes ont été les premiers témoins de l’empreinte durable laissée par ces innovations sur le paysage, urbain comme rural. Pour retracer l’apparition du thème du port moderne en peinture, on ne saurait rêver mieux que le Musée Malraux, au Havre, situé sur les quais face à la capitainerie, avec vue imprenable sur les cargos et pétroliers manœuvrant leur entrée au port. Reprenant le titre de l’inoubliable film d’Elia Kazan, l’exposition « Sur les quais » confronte tableaux, gravures, sculptures et photographies d’époque, dans un splendide parcours chronologique et thématique couvrant une centaine d’années.
Parfois la fiction doit céder face à la réalité. En vogue au XVIIe siècle, les paysages arcadiens de Claude Gellée puis ceux plus pittoresques de Joseph Vernet au XVIIIe n’ont pas résisté aux avancées techniques du XIXe. Fini les lueurs dorées du coucher du soleil caressant les voiles des caravelles amarrées, voici la grisaille crasseuse déversée par les bateaux à vapeur. Exit les eaux paisibles, les forêts de mats, les crinolines et les canotiers. Voici les steamers, les grues, les prémices d’une pollution à grande échelle. Dès les années 1850, les ports européens sont le théâtre de chantiers colossaux, stimulés par la compétition des savoir-faire nationaux. Des bassins sont creusés, des quais sont construits, des entrepôts sont alignés… L’invitation au voyage et les promesses d’exotisme s’envolent en fumée tandis que s’annonce l’omnipotence du commerce. Autant de bouleversements qui nourriront l’inspiration des artistes. Les commissaires britanniques de l’exposition « Turner Whistler Monet », présentée en 2004 aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, avaient déjà souligné l’impact de la pollution atmosphérique sur l’œuvre des trois peintres dans la version londonienne de l’exposition. Chez les premiers artistes modernistes présentés au Havre, Boudin, Monet et surtout Pissarro, d’innombrables colonnes de fumée se mêlent aux nuages, structurant la composition – quel dommage qu’Impression, soleil levant, peinte au Havre par Monet en 1872, soit retenue au Japon ! En comparant ces toiles avec les photogravures de l’époque, l’on découvre les libertés prises par les artistes, qui annulent le fouillis visuel des chantiers portuaires pour assurer la clarté de leur mise en scène.
C’est sur la Tamise, chez l’Américain Whistler et le Français Doré, qu’émerge une approche narrative du sujet, illustrant le fourmillement du port de commerce, sa rudesse, sa promiscuité. Les visages des dockers, débardeurs et mousses condamnés aux bas-fonds de la cité apparaissent enfin, au cœur d’un nouveau vocabulaire visuel, peuplé de tonneaux, de vareuses et de capuchons. De ce foisonnement, l’artiste belge Eugeen Van Mieghem tire des scènes intimes, et même des portraits des ouvriers de la mer, population pour le moins farouche. Entre réalisme social et nationalisme social, il n’y a qu’un pas, allègrement franchi par Constantin Meunier dont les sculptures se dressent à la gloire du travail ouvrier. Avec le pictorialisme photographique renaît une vision poétique – poursuivie en peinture par le synthétique Albert Marquet –, voire une mythologie du port, perpétuée par Maurice Denis, André Lhote, Raoul Dufy… À tout sujet ses poncifs, popularisés par les films des années 1950 –  Quai des brumes pour n’en citer qu’un. Moholy-Nagy y échappe avec grâce. En treize minutes cinématographiques, l’artiste hongrois nous livre ses Impressions du vieux port de Marseille, pamphlet social réalisé en 1929, où structures métalliques, joyeux garnements et vieux miséreux sont couvés par le même regard bienveillant.

SUR LES QUAIS. PORTS, DOCKS ET DOCKERS. DE BOUDIN À MARQUET, jusqu’au 25 janvier 2009, Musée Malraux, 2, bd Clemenceau, 76600 Le Havre, tél. 02.35.19.62.62, http://musee-malraux.ville.lehavre.fr, tlj 11h-18h, 11h-19h le week-end, fermé les jours fériés. Catalogue, éd. Somogy, 264 p., 220 ill. coul., 30 euros, ISBN 978-2-7572-0213-5

SUR LES QUAIS

Commissaires : Annette Haudiquet, directrice du Musée Malraux ; Olivier Le Bihan, directeur du Musée de Bordeaux ; Jean-Pierre Mélot, attaché de conservation au Musée Malraux du Havre.
L’exposition sera visible au Musée des beaux-arts de Bordeaux du 26 février au 14 juin 2009. La sélection des œuvres y sera légèrement différente.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°293 du 12 décembre 2008, avec le titre suivant : Quand la modernité débarque au Havre

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