Hommage

Quand art et Histoire ne font qu’un

Le Journal des Arts

Le 13 février 2008 - 642 mots

La Halle Saint-Pierre, à Paris, revient sur l’action de Varian Fry, Américain qui aida tant d’artistes à quitter l’Europe au cours de la Seconde Guerre mondiale.

PARIS - À l’occasion du centenaire de sa naissance, la Halle Saint-Pierre, à Paris, rend hommage à Varian Fry (1907-1967). Ce jeune journaliste américain sauva, durant la Seconde Guerre mondiale, quelque deux mille juifs et militants antinazis, en les aidant depuis Marseille à fuir l’Europe et le régime de Vichy. Varian Fry est le premier Américain, et le seul à ce jour, à avoir été reconnu en tant que « Juste parmi les Nations » par l’Institut Yad Vashem à Jérusalem.
En août 1941, Fry débarque à Marseille pour mener à bien sa mission. Il est mandaté par l’Emergency Rescue Committee, fondé deux mois plus tôt à New York par des personnalités en vue de l’Église méthodiste, mais aussi par des universitaires, des membres du Museum of Modern Art et de la Fondation Rockefeller. Le comité s’est donné pour but d’organiser l’aide aux réfugiés les plus exposés dans le sud de la France. Il a reçu l’appui d’Eleanor Roosevelt – épouse du président des États-Unis Franklin D. Roosevelt –, qui est parvenue à convaincre le département d’État américain d’accorder des visas de sauvetage, au-delà des quotas d’immigration. Parmi les hommes et les femmes que Varian Fry va contribuer à faire quitter l’Europe entre le mois d’août 1940 et l’automne 1941, figurent de nombreux artistes et intellectuels : Hannah Arendt, André Breton, Marc Chagall, Max Ernst, Marcel Duchamp, Victor Brauner, Roberto Matta. La liste est longue et forme une véritable encyclopédie de l’intelligentsia artistique d’avant-guerre.
La Halle Saint-Pierre a choisi d’évoquer la mémoire et l’action de Fry en deux temps. À l’aide de documents d’archives, elle en retrace le chapitre proprement historique, dévoilant les arcanes administratifs de cette aventure humaine. D’autre part, elle présente, dans la partie la plus passionnante de l’exposition, les œuvres de ceux que Fry a sauvés, des peintures, sculptures et dessins réalisés alors qu’ils étaient en attente.

Jeux de patience
À son arrivée à Marseille, Fry élit domicile à la villa Bel-Air, bientôt rebaptisée « château espère-visa ». La maison est assez vaste pour recevoir un grand nombre d’invités, et elle devient vite un phalanstère intellectuel. Parmi les artistes qu’elle accueille, ils sont nombreux à appartenir à la constellation surréaliste. Des photographies témoignent des moments heureux de la petite communauté : ramassage du bois, nettoyage du bassin des poissons, départ de Duchamp. Dans l’attente, Óscar Domínguez, Brauner, Hans Bellmer, Ernst ou René Char réinventent les jeux surréalistes, cadavres exquis et dessins collectifs, présents en nombre à la Halle Saint-Pierre. L’époque de la villa Bel-Air donne un second souffle à ces pratiques, que le groupe avait quelque peu délaissées dans l’immédiate avant-guerre. En allusion au tarot de Marseille, utilisé par les voyantes, le Jeu de Marseille est créé. Dans ses trente-deux cartes se glissent les figures tutélaires chères à Breton. Les mages comme Freud et Novalis, les génies que sont Baudelaire, Sade ou Lautréamont, les sirènes représentées par l’Alice de Lewis Carroll s’y substituent aux figures classiques des rois, dames et valets. L’Amour, le Rêve, la Révolution et la Connaissance y remplacent les couleurs. Le parcours, quelque peu brouillon, permet de les découvrir toutes, ainsi que de beaux ensembles de dessins d’André Masson, de Brauner ou Wols. L’idée que ces hommes auraient pu ne pas traverser l’Atlantique, lorsque l’on connaît les répercussions esthétiques qu’eut leur rencontre avec les jeunes peintres de l’école de New York, laisse rêveur. La manifestation de la Halle Saint-Pierre est en tout cas l’occasion d’observer l’un de ces rares moments dans lesquels art et Histoire ne font qu’un.

Varian Fry, Marseille 1940-1941 et les artistes candidats à l'exil, jusqu’au 9 mars, Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, 75018 Paris, tél. 01 42 58 72 89, tlj 10h-18h. Catalogue, 203 p., 45 euros.

Varian Fry

- Commissaire de l’exposition : Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint-Pierre
- Nombre d’œuvres : 150 environ

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : Quand art et Histoire ne font qu’un

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