LACMA

Quand Alexander Calder bascule vers l’abstraction

Par Bénédicte Ramade · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2014 - 734 mots

Le musée californien déploie magistralement les formes aériennes abstraites du sculpteur dans une démonstration qui se passe de médiation.

LOS ANGELES - Un accrochage tout en élégance et en épure, des murs comme des rouleaux de papier composant un espace déployé en courbes, un appareillage informatif relégué à un catalogue consistant, Stephanie Barron, conservatrice senior du LACMA de Los Angeles (États-Unis), a résolument opté pour une exposition sensible et esthétique. La visite a d’ailleurs tout du ravissement ; aérienne évidemment, comment pourrait-il en être autrement avec Calder ? L’abstraction se joue donc avec le moins d’interférences possibles, d’abord phénoménologique et perceptuelle, avant d’être savante. Elle laisse ainsi une belle amplitude autour des mobiles et des stabiles, et peu de place au didactisme (panneaux et cartels sont réduits au strict minimum). Le propos même de l’exposition – la rencontre du sculpteur avec l’abstraction – est d’ailleurs assez superficiel si l’on se contente de la visite, même si celle-ci offre une très belle démonstration. Pourtant, le sujet n’a rien d’une anecdote. En 1930, lorsque l’américain visite l’atelier de Piet Mondrian, il aura une révélation : « J’étais particulièrement impressionné par des rectangles de couleur qu’il avait punaisés au mur suivant une de ses grilles. Je lui ai dit que je voulais les faire osciller, mais il s’y objecta. Je suis rentré et j’ai essayé de peindre de manière abstraite, mais deux semaines plus tard j’étais retourné à mes matériaux plastiques. » Cependant, l’affaire était entendue, son art ne serait plus le même. Après cinq années passées à réaliser son œuvre majeure Le Cirque entre 1926 et 1931, Calder, favorablement impressionné par l’abstraction des artistes qu’il côtoie (Arp, Miró, Mondrian, Kandinsky) change de cap. Object with Red Ball (1931) est à ce titre révélatrice. Un fin cercle noir accroché au bout d’un fil blanc enserre deux disques noirs encastrés et jouxte une boule d’un rouge insolent. Les lois de la physique commencent à être défiées et la sculpture à gagner une dimension inédite.

Une habile démbulation entre des œuvres graciles
L’exposition de Los Angeles est la première dans ces murs à être dédiée à l’œuvre du sculpteur. Elle rassemble dans cette optique cinquante sculptures et maquettes d’œuvres d’art publiques, réalisées entre 1931 et 1976, date de sa mort. Beaucoup d’entre elles ont été prêtées par la Fondation Calder de New York. Elle s’ouvre en préambule sur une version réduite d’une sculpture publique emblématique, celle des Trois disques, installée sur l’île Sainte-Hélène en face de Montréal en 1967 pour l’Exposition universelle. Trois ans auparavant, il réalisait pour le LACMA, Three Quintains (Hello Girls), sculpture mobile polychrome imposante placée dans un plan d’eau adjacent au musée. Puis l’exposition déroule un parti pris plutôt chronologique, rassemblant les œuvres par époque sans que cela soit une contrainte tant la déambulation se fait entre des espaces rendus fluides par les courbes de la scénographie, ouvrant de nombreuses perspectives entre les salles. Les œuvres communiquent magnifiquement entre elles, entre échos des formes et des couleurs, courbes et contre-courbes, jeux d’ombres projetés toujours changeants. Les œuvres d’avant-guerre flottent et composent des cosmogonies qui rejoignent conceptuellement les œuvres de Rodtchenko, Miró, Moholy-Nagy, Kandsinky et Mondrian, comme l’explique Stephanie Barron dans le catalogue. L’exposition n’en laisse rien paraître n’offrant pas d’autres œuvres que celles de Calder. Rien ne s’interpose donc entre le visiteur et la démonstration d’occupation plastique et spatiale des sculptures, le contenu étant réservé à l’écrit. Un peu étrange tout de même. Cependant, face à des œuvres contemporaines au programme intellectuel et aux aspirations cosmogoniques denses des abstraits canoniques susmentionnés, celles de Calder, par leur simplicité désarmante auraient pu être écrasées. Place est faite à leur génie, à leur façon d’osciller doucement au passage des corps, et ainsi de signaler les places que chacun occupe dans un univers complexe sans opérer une leçon théorique des systèmes. À côté du gros rocher que Michael Heizer a ramené du désert du Nevada l’an dernier, exemple lourdaud de Land art visible depuis les baies vitrées des salles, les dessins en lévitation de Calder sont d’une grâce et d’une élévation infinie. La visite réussit parfaitement à piquer suffisamment la curiosité du visiteur pour lui donner envie de s’attabler devant le catalogue et de se plonger dans la lecture de ses essais. Cinquante ans après que Calder eut marqué l’identité du musée par un de ses mobiles en plein air, hommage lui est ainsi rendu de belle et intelligente manière.

Calder and Abstraction : From Avant-garde to Iconic

Jusqu’au 27 juillet, Los Angeles County Museum of Art, 5905 Wilshire blvd., Los Angeles, États-Unis, tel (001) 323 857-6000, lundi, mardi, jeudi 11h-17h, vendredi 11h-20h, samedi-dimanche 11h-19h, http://www.lacma.org.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Quand Alexander Calder bascule vers l’abstraction

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