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Qin Shi Huangdi, ou l’art de créer un empire

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 766 mots

Spécialement aménagée pour l’occasion, la célèbre Salle de lecture du British Museum
esquisse le portrait de Qin Shi Huangdi, créateur de la Chine impériale.

LONDRES - 1974, Commune de Lintong, à quelques kilomètres de la ville de Xi’an, dans la province du Shaanxi (centre de la Chine). Armés de pelles pour creuser un puits, des agriculteurs font l’une des plus grandes découvertes archéologiques du XXe siècle. Terrée à plusieurs mètres de profondeur, une première statue en terre cuite grandeur nature d’un soldat chinois de la garde impériale est mise au jour, suivie d’une autre, puis de centaines d’autres. L’immense site funéraire de Qin Shi Huangdi, premier empereur de Chine, était révélé au monde entier, deux millénaires après sa conception. Au travers des dernières trouvailles archéologiques effectuées sur ce site de 56 kilomètres carrés qui est loin d’avoir dévoilé tous ses secrets, le British Museum, à Londres, dresse le portrait en creux du Qin Shi Huangdi (260-210 av. J.-C.), un tyran moderniste en quête d’éternité.

Arrivé sur le trône du royaume Qin à l’âge de 13 ans en 246 av. J.-C., le roi Ying Zhen s’est autoproclamé « premier auguste empereur Qin » (Qin Shi Huangdi) vingt-cinq ans plus tard, une fois achevé la conquête et l’unification des sept royaumes du territoire chinois. À la tête de cet empire, Shi Huangdi orchestre d’une main de fer la centralisation du pouvoir, l’uniformisation de la monnaie, de l’écriture, des poids et des mesures, ainsi que le développement du réseau routier. Si la construction de la Grande Muraille demeure son projet le plus marquant, nombre de palais furent érigés à sa gloire à travers le pays. Dans un éclairage digne de la Biennale des antiquaires, le parcours de l’exposition illustre brièvement ces diverses étapes de modernisation, pièces de monnaie et sceaux en bronze à l’appui, avant de plonger au cœur du sujet. Manquant de traces écrites, les historiens ont pu étudier le règne de Shi Huangdi à partir de son site funéraire.

Propos brumeux
Décédé brusquement alors qu’il tentait avec l’aide des médecins d’accéder à l’immortalité, Shi Huangdi avait préparé son existence dans l’Au-delà jusque dans les moindres détails. La croyance chinoise voulant que la vie se poursuive inchangée après la mort, Shi Huangdi avait la ferme intention de gouverner le monde depuis son tombeau. Ainsi, 700 000 personnes auraient travaillé pendant trente-six ans à la formation d’une assemblée censée assister l’empereur dans sa vie post-mortem. Aux côtés des statues de guerriers – dont la douzaine présentée ici a été soigneusement choisie pour illustrer la diversité des grades militaires et des races, résultat de l’unification des différents royaumes –, on retrouve un fonctionnaire civil, un musicien, un acrobate, des oiseaux en bronze à l’échelle un… L’empereur s’était assuré de pouvoir perpétuer sa puissance militaire, mais il pouvait aussi superviser les questions administratives et se divertir dans un cadre familier.

Exposition didactique s’il en est, « Le premier empereur : l’armée en terre cuite de Chine » déçoit cependant par le manque de clarté de son propos. Avec 136 000 billets prévendus et plusieurs milliers de visiteurs attendus, la manifestation est ouvertement destinée à un large public. Ainsi, la réflexion sur l’empire en tant qu’entité politique et culturelle proposée en filigrane par le directeur du Musée, Neil MacGregor, ne transparaît pas. Il aurait en outre été intéressant d’établir un parallèle entre l’avènement de cet empire multilingue et multiracial et les hésitations de l’Europe contemporaine. Cette réflexion se poursuivra lors de la prochaine session sur l’empereur Adrien, prévue, elle aussi, dans la Salle de lecture de l’ancienne bibliothèque du musée, transformée en espace d’expositions temporaires pour les trois années à venir. Un troisième volet sur l’empire britannique n’est malheureusement pas à l’ordre du jour...

Les commissaires mettent en exergue le caractère exceptionnel des œuvres présentées, lesquelles leur ont valu d’âpres négociations avec le Musée de l’armée de terre cuite et le Bureau du patrimoine culturel de la province de Shaanxi à Xi’an. Il est vrai que la proximité et la diversité des statues permettent d’observer une finesse du travail impossible à apprécier sur le site de Xi’an. Mais le terme de location serait ici plus approprié que celui de prêt, le British Museum ne versant pas moins de 100 000 dollars (72 000 euros) par mois d’exposition aux autorités chinoises – « un tarif très raisonnable » aux yeux de Neil MacGregor. Cette opération mercantile n’aurait sans doute pas laissé indifférent Karl Marx, qui a élaboré les grandes lignes de son Capital dans cette même salle de lecture...

L’ARMÉE DE TERRE CUITE...

- Commissaire : Jane Portal, conservatrice spécialisée en art chinois et coréen au département Asie du British Museum - Scénographie : Agence Metaphor - Mécénat : Morgan Stanley (env. 1 million de livres sterling, 1,4 million d’euros)

L’ARMÉE DE TERRE CUITE DU PREMIER EMPEREUR DE CHINE

Jusqu’au 6 avril 2008, British Museum, Great Russell Street, Londres, tél. 44 207 323 82 99, www.thebritishmuseum.ac.uk, tlj sauf le 1er janvier, 10h-17h30. Catalogue, environ 60 euros pour la version reliée et 40 euros pour la version brochée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Qin Shi Huangdi, ou l’art de créer un empire

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