Projections privées

Le Fresnoy se fait du cinéma

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 22 mai 1998 - 433 mots

Les espaces d’exposition du Fresnoy ont été inaugurés, avec six mois de retard, par une exposition démonstrative qui privilégie les dimensions technique et spectaculaire de la projection.

TOURCOING - La conception de la première exposition du Studio national des arts contemporains a été confiée, voilà cinq ans, à Dominique Païni, directeur de la Cinémathèque française. En conformité avec le programme de pointe de ce centre multimédia, elle entend se situer “au cœur des préoccupations artistiques contemporaines” et rassemble artistes et cinéastes expérimentaux. Le thème de la projection de l’image est certainement, comme en témoignent avec discernement les essais réunis dans le catalogue, essentiel à la compréhension du destin moderne de l’image. Depuis l’invention de la perspective jusqu’aux ultimes développements du cinéma, la projection informe les modes de représentation avec une discrétion telle qu’elle passe souvent inaperçue.

Fétichisme
Autant un tel sujet s’impose et s’expose avec évidence à un niveau théorique, autant il est difficile d’en rendre compte pratiquement. Ces “Transports de l’image” en fournissent malheureusement l’illustration exemplaire : l’ambition légitime de l’analyse se transforme en une singulière prétention qui ouvre indifféremment la voie à la lourdeur didactique ou au spectaculaire le plus clinquant. La question de la projection disparaît au profit de celle du projecteur. Le visiteur a ici, en dépit de l’obscurité qui l’égare, l’occasion d’en observer des dizaines, de tous types et de toutes marques, qui constituent une sorte de luna-park monographique que la Cellule d’intervention Matamkine déploie à l’échelle bonsaï. Avec bonne volonté, on pourrait croire que ce parti pris de divulgation instrumentale vise à une démystification de la technique.

Mais, à elle seule, l’installation de Patrick Bokanowski & Christophe Cardoen, où l’écran se froisse et se tend dans un cliquetis d’opérette pour faire place à d’insignifiantes images de synthèse, suffit à démentir une telle illusion : la sophistication du bricolage trahit un embarrassant fétichisme. Lequel n’est évidemment exclusif ni de complaisance ni de narcissisme, que l’on voit notamment à l’œuvre dans l’installation d’Atom Egoyan ou dans celle du directeur du Fresnoy lui-même, Alain Fleischer, qui présente un dispositif complexe significativement intitulé Prisons dorées. Les citations de Leibniz et Deleuze qui émaillent le parcours n’y changent rien : “la valorisation de la présence machinique”, comme l’écrit Dominique Païni, est un leurre qui, loin d’être critique, fait le jeu d’une conception servile et instrumentale de l’image.

PROJECTIONS, LES TRANSPORTS DE L’IMAGE, jusqu’au 7 juin, Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, 22 rue du Fresnoy, Tourcoing, tél. 03 20 28 38 05, tlj sauf mardi 13h-19h, dimanche 15h-19h. Catalogue sous la direction de Dominique Païni, Hazan, 153 p., 145 F. ISBN 285025570X.

La fronde des étudiants

Le Fresnoy, qui par définition est avant tout une école, a officiellement ouvert ses portes au mois de novembre 1997 en accueillant une première promotion de vingt-quatre étudiants. Des problèmes de sécurité liés à l’architecture en ont retardé l’ouverture au public. Si la conformité des espaces qui lui sont réservés est enfin acquise, les équipements et l’encadrement pédagogique, selon le tract diffusé par l’Association des étudiants, font encore défaut. Leur cahier de doléances offre un constat amer qui contraste avec les promesses initiales : un matériel de tournage et de montage cinématographique est bien disponible, mais la formation n’en a pas été assurée ; l’acoustique des studios son et des salles de cinéma doit être entièrement refaite ; les ordinateurs sous-équipés sont régulièrement en panne… Essuyer les plâtres d’une coquille vide est une mission particulièrement ingrate. À ces difficultés techniques s’ajoutent le report des stages et des interventions d’artistes et de théoriciens – qui devaient donner un contenu pédagogique d’excellence au projet – et une absence de communication avec la direction. “La vocation d’école du Fresnoy n’est pas manifeste au vu du peu de cas que l’on y fait de nos difficultés�?. Avec une certaine solennité, l’Association en appelle aux responsables institutionnels qui ont la tutelle de l’établissement, afin que Le Fresnoy “ne reste pas qu’un effet d’annonce�?.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°61 du 22 mai 1998, avec le titre suivant : Projections privées

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