Poussin, peintre d’images saintes

Le Journal des Arts

Le 2 mars 2001 - 472 mots

Premier Poussin entré au Louvre depuis L’Inspiration du poète en 1911, Sainte Françoise Romaine annonçant à Rome la fin de la peste, réapparue après deux siècles d’oubli, méritait bien une exposition. En insistant sur le contexte romain de l’œuvre, celle-ci pose un nouveau regard sur Poussin, peintre d’« images saintes ».

PARIS - “Le Dieu caché”, la récente exposition de la villa Médicis, s’efforçait de distinguer, à travers les chefs-d’œuvre de Poussin, Vouet, Champaigne, La Tour ou La Hyre, une manière typiquement française de peindre la divinité, accordée à la spiritualité gallicane. Présentée aujourd’hui au Louvre, au côté de Sainte Françoise Romaine, L’Annonciation de Poussin (Londres) s’affirmait alors comme l’un des exemples les plus aboutis de cette esthétique. Ces deux tableaux montrent, selon Marc Fumaroli, un Poussin “délestant son art de tout ce qui cache et affaiblit les symboles, préférant pour eux le vide au plein, la lumière à l’épanouissement, la sérénité à l’agitation, l’intelligence à l’effet”. Qu’elle ressortisse à un esprit français ou à une ascèse personnelle, la Sainte Françoise n’en demeure pas moins organiquement liée au contexte romain et à la spiritualité de la Contre-Réforme. S’ouvrant sur une évocation du commanditaire du tableau, le cardinal Giulio Rospigliosi (1600-1669), dont le portrait trône à l’entrée, l’exposition du Louvre rappelle que le futur Clément IX avait soutenu Poussin lors de son premier séjour romain. Pour lui, le Normand avait peint Les Bergers d’Arcadie, La Danse de la vie humaine ou encore Le Temps découvre la Vérité (perdu). En 1657, Rospigliosi demande à l’artiste un ex-voto pour saluer la fin de la peste.

Femme de la noblesse, qui vécut à Rome au XVe siècle, où elle fonda le couvent de Tor de’ Specchi, Francesca Bussi dei Ponziani (1384-1440) fut canonisée en 1608 par le pape Paul V Borghèse. Poussin représente l’apparition de sainte Françoise Romaine, considérée comme l’Avocate de la Ville, annonçant la fin de l’épidémie, tandis qu’un archange chasse la peste affublée d’une tête de Méduse. Rome est personnifiée par une femme au costume austère mais majestueux, dans laquelle on peut reconnaître Anna Colonna-Barberini. Issue d’une des plus anciennes familles de l’Urbs, cette dernière avait fait construire, pour les carmélites déchaussées, l’ordre réformé par sainte Thérèse d’Avila, le couvent et l’église de Regina Coeli, ressuscitant ainsi les vertus de sainte Françoise. En citant la Sainte Cécile de Maderno dans la jeune victime de la peste, Poussin réussit par ailleurs à relier la Rome moderne aux persécutions du IIIe siècle, une façon érudite de rappeler que Francesca portait une sincère dévotion à Cécile, vierge et martyre.

- UN TABLEAU DE POUSSIN REDÉCOUVERT : SAINTE FRANÇOISE ROMAINE, jusqu’au 2 avril, Musée du Louvre, aile Richelieu, 75001 Paris, tél. 01 40 20 51 51, tlj sauf mardi 9h-17h45, mercredi jusqu’à 21h45. Catalogue par Marc Fumaroli, éd. Louvre/RMN, coll. Solo, 144 p., 60 ill., 95 F.

Deux siècles d’oubli

Disparue depuis deux siècles, la Sainte Françoise Romaine de Poussin n’était plus connue que grâce à deux gravures, l’une de Pietro del Po, l’autre de Girard Audran. Restée dans la collection Rospigliosi-Pallavicini jusqu’en 1798, elle est alors vendue par les héritiers du cardinal. Plus tard, la toile entre en possession du secrétaire de l’Académie de France, Alexis Le Go, et quitte Rome avec lui, en 1873, pour le midi de la France. Progressivement tombée dans l’oubli, elle est proposée, en 1998, à un antiquaire marseillais qui la fait identifier par l’expert Éric Turquin. Tous les spécialistes de Poussin confirment ensuite l’attribution. La Société des Amis du Louvre – aidée par le Fonds du Patrimoine, les crédits de la RMN et du mécénat – va alors jouer un rôle déterminant dans l’acquisition du tableau pour 45 millions de francs. Celui-ci est aujourd’hui l’objet d’une exposition et d’un catalogue grâce au soutien de Mme Akram Ojjeh.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : Poussin, peintre d’images saintes

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