Influence

Pour l’amour de Matisse

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 15 avril 2009 - 728 mots

Le Musée Matisse du Cateau-Cambrésis évalue l’empreinte d’Henri Matisse chez les peintres américains et européens des années 1950 et 1960.

LE CATEAU-CAMBRÉSIS -  « Kandinski [sic] expose des improvisations qui ne sont pas sans intérêt, car elles représentent à peu près seules l’influence de Matisse. Mais Kandinski pousse à l’extrême la théorie de Matisse sur l’obéissance à l’instinct et n’obéit plus qu’au hasard. » À lire Guillaume Apollinaire, dans L’Intransigeant du 25 mars 1912, Henri Matisse apparaît dès le début du XXe siècle comme un modèle d’audace pour les jeunes générations d’artistes. Celui qui choque la critique au Salon d’automne de 1905 a, sur la fin de sa vie, perdu de sa superbe aux yeux de la critique française. Ses ultimes recherches picturales ont pourtant passionné nombre de peintres américains hérauts de l’expressionnisme abstrait, lesquels y ont trouvé des réponses formelles à leur quête de nouveaux rapports entre ligne et couleur. Un comble pour Matisse qui a strictement évolué dans la sphère figurative et considérait l’art abstrait comme « une tendance dangereuse ». Présentée au Musée Matisse, au Cateau-Cambrésis (Nord), l’exposition chorale « Ils ont regardé Matisse » revient en détail sur cet élan interprétatif, confrontant les œuvres du maître natif du Cateau-Cambrésis à celles de l’avant-garde américaine et européenne des années 1950 et 1960. Avec pour avantage d’avoir obtenu le concours des artistes concernés – dans la mesure du possible ! Ainsi Daniel Buren, Ellsworth Kelly, François Rouan, Frank Stella, Claude Viallat et Jacques Villeglé ont choisi une œuvre matissienne auprès de laquelle ils souhaitaient voir figurer leurs propres créations, et ont, pour certains, sorti des œuvres inédites des tréfonds de leurs ateliers.

Le décoratif renouvelé
Le parcours de l’exposition s’ouvre malicieusement sur Porte-fenêtre à Collioure (1914, prêt exceptionnel du Centre Pompidou), un tableau découvert en 1966 par une critique rôdée aux nouvelles formes d’expression et ainsi considéré par certains comme une œuvre abstraite. Il aborde ensuite les différents procédés des artistes pour assimiler l’œuvre de Matisse, ce, au moyen de confrontations aussi probantes sur un plan théorique que visuel. Ainsi, Out of the Web, number 7 (1949), de Jackson Pollock, est rapproché de La Danse : Pollock abandonne l’iconographie usuelle de la danse pour faire directement danser sa peinture sur la toile et va jusqu’à prélever des pans du support, rappelant le geste de Matisse découpant ses gouaches. Certes, L’Hommage à Matisse (vendu chez Christie’s en novembre 2005) de Mark Rothko manque à l’appel, mais les quatre toiles du peintre américain ici réunies font subtilement écho à la superposition des zones de couleurs strictement délimitées avec lesquelles Matisse construit son Nu rose, intérieur rouge. Barnett Newman enfin, avec Not There-Here (1962), s’est saisi des notions de planéité et de frontalité si caractéristiques de l’espace matissien.
Passé cette première étape d’ingestion et de digestion par les expressionnistes abstraits, s’ensuit une série de dialogues transatlantiques qui renouvellent la notion du terme « décoratif ». À l’exemple de Simon Hantaï, qui manipule la surface sans relâche dans ses magistrales Mariales ; de Frank Stella (BAFQ) ou Morris Louis (splendide Omega IV) dont les zones de toile non peintes font partie intégrante de la composition ; de Sam Francis et les formes organiques de ses Blue Paintings, qui dégagent la même impression d’apesanteur que le Nu au tapis espagnol. À la fin des années 1960, si l’empreinte de Matisse est prégnante de manière évidente chez Viallat ou Rouan, elle l’est de manière plus subtile dans les recherches à tonalité conceptuelle de Richard Tuttle, Buren et Blinky Palermo. Cités par Éric de Chassey dans le catalogue aux essais pointus, les propos du byzantiniste Matthew Stewart Prichard, datant de 1911, traduisent le sentiment qui ressort de cette exposition : « Les tableaux du peintre français “ne représentent rien”, […] ils sont avant tout “une invitation à l’action créatrice, la semence, le germe de celle-ci, et la détermination, en même temps, de votre état d’esprit”. »

ILS ONT REGARDÉ MATISSE. UNE RÉCEPTION ABSTRAITE ÉTATS-UNIS/EUROPE 1948-1968, jusqu’au 14 juin, Musée départemental Matisse, palais Fénelon, 59360 Le Cateau-Cambrésis, tél. 03 27 84 64 50, www.cg59.fr/matisse, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, éd. Gourcuff Gradenigo, 270 p., 39 euros, ISBN 978-2-35340-060-7

ILS ONT REGARDÉ MATISSE
Commissaires : Éric de Chassey, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université François-Rabelais de Tours ; Émilie Ovaere, conservatrice adjointe au Musée Matisse
Œuvres : environ 65 dont une quinzaine de Matisse

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°301 du 17 avril 2009, avec le titre suivant : Pour l’amour de Matisse

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