Pour de vrai

Mouans-Sartoux réunit la grande famille de l’art concret

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2000 - 682 mots

En proposant un panorama historique de l’Art concret, l’Espace de l’art concret de Mouans-Sartoux se heurte à la complexité d’un mouvement qui traverse nombre d’œuvres du XXe siècle. Des années vingt à nos jours, l’exposition retrace au final un portrait de famille de près de quatre-vingts artistes avec Théo Van Doesburg en patriarche.

MOUANS-SARTOUX - Piet Mondrian, François Morellet, Max Bill, Michel Verjux... les précurseurs, protagonistes, affiliés ou amis de l’Art concret sont tous présents pour fêter les dix ans de l’espace éponyme de Mouans-Sartoux, et plus sérieusement les soixante-dix ans du mouvement initié en 1930 à Paris. “Le tableau doit être entièrement construit avec des éléments purement plastiques, c’est-à-dire plans et couleurs. Un élément pictural n’a pas d’autres signification que ‘lui-même’”, postulait alors Théo Van Doesburg, accompagné d’Otto Gustav Carlsund, Jean Hélion, Léon Tutundjian et Walmar Schwab. Marqué par la volonté de purger l’abstraction de ses racines lyriques ou ésotériques, et de créer une œuvre “entièrement conçue et formée par l’esprit avant son exécution”, le mouvement condense les recherches de l’avant-garde internationale des années vingt et trente : le néoplasticisme de De Stijl où Van Doesburg figure au côté de Mondrian, les recherches de Moholy-Nagy au Bauhaus ou encore les développements constructivistes d’El Lissitzky, représentés au début de l’exposition par un Proun, gouache et mine de plomb de 1922-1923.

Dès lors, comment arriver à circonscrire un mouvement intimement lié à son fondateur, Théo Van Doesburg, décédé en 1931 ? Champion de l’abstraction géométrique, Serge Lemoine, directeur du Musée des beaux-arts de Grenoble et commissaire de l’exposition, répond par des affinités, des regroupements en cercles entrelacés disposés chronologiquement : les fondateurs, mais aussi les pionniers de Kupka à Malévitch, où les amis parmi lesquels Kandinsky et Schwitters. Après-guerre, la clarification semble plus aisée, sous l’impulsion du groupe de “concrets zurichois” fédérés dans la décennie précédente par Max Bill, ancien élève du Bauhaus de Dessau. “Nous appelons Art concret ces œuvres d’art issues de leurs moyens fondamentaux et suivant leurs lois propres, sans références extérieures à l’apparence naturelle, donc faisant l’économie de l’’abstraction’”, écrit ce dernier en 1935.

En américain on dit Minimal
En trois dimensions avec Surface à un coin dans l’espace ou plus habituellement sur toiles, à l’instar de Champ de couleurs claires qui s’interpénètrent (1966-1967), l’œuvre de Bill confirme au fil des années sa rigueur, sans s’enfermer dans une palette primaire et une géométrisation stérile. Composantes reprises par la génération apparue dans les années cinquante dans les pas des Zurichois ; ceux-ci ont largement assuré la diffusion de leurs idées par l’enseignement et la théorisation de leurs acquis. En Europe ou en Amérique latine, ce qu’il convient d’appeler la “tradition concrète”, essaime ou se modifie : avant ses actions thérapeutiques, Lygia Clark s’illustre dans une tendance illusionniste (Surface modulée n° 5 de 1955 et sa fausse rondeur), et le Groupe de recherche d’art visuel (Grav) introduit le mouvement, mais surtout l’ironie et l’humour d’un François Morellet, malheureusement réduit ici à sa dimension systémique avec Tirets 0° - 90°.

À la presque fin du parcours chronologique, l’apparition de pièces de Donald Judd, Carl Andre et Dan Flavin, regroupées sous le terme de “Simplification”, vient poser le piège tant attendu : comment dit-on Art concret en Amérique du Nord ? Répondre Art minimal revient à nier la particularité de recherches, en partie construites sur les bases de la peinture américaine d’après-guerre. Nier la similitude entre les principes énoncés par Van Doesburg et le “tout ce qui est à voir et ce que vous voyez” de Franck Stella serait pourtant le comble de la mauvaise foi. Interrogé en 1964 sur ses contemporains européens, le peintre avait répondu : “Je considère toute cette école géométrique européenne – une sorte d’école post-Max Bill – comme une espèce de curiosité.” La formule revancharde de ce dernier et l’accrochage proposé par Serge Lemoine le confirment : l’Art concret, n’est pas un mouvement artistique, c’est une histoire de famille.

- ART CONCRET, jusqu’au 29 octobre, Espace de l’art concret, tlj, 11h-19h, tél. 04 93 75 71 50, 13 place Suzanne-de-Villeneuve, 06370 Mouans-Sartoux, catalogue, 352 p., 195 F, ISBN 2-7118-4069-7

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°110 du 8 septembre 2000, avec le titre suivant : Pour de vrai

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