Plaisirs de diva

Un dialogue entre l’opéra et l’œuvre visuelle

Le Journal des Arts

Le 31 mars 2000 - 527 mots

Montrer l’opéra pour en raconter l’histoire. À cette gageure, le Théâtre de la Monnaie a répondu avec une exposition conçue comme une aventure multiple. Essai réussi, même si, à Bruxelles, la réalité de l’opéra reste résolument de l’autre côté de la rue.

Bruxelles (de notre correspondant) - À l’arrière du Théâtre royal de la Monnaie, Bernard Foccroulle, directeur de la scène lyrique bruxelloise, a choisi d’anciens espaces industriels pour y installer les Ateliers de la Monnaie. Restaurés et inaugurés dans le cadre de “Bruxelles 2000”, les locaux surprennent par leur magie et leur mystère. C’est dans ces décors que Laurent Busine a déployé son exposition. Au parti pris historique, il a substitué un désir de faire œuvre personnelle en investissant les lieux d’une ambition multiple, comme l’opéra lui-même. L’histoire de la Monnaie est ainsi devenue un des matériaux de la présentation, qui se veut une sorte de performance où le son répond à l’objet, où l’art contemporain s’immisce dans les réserves de l’opéra, où les coulisses deviennent la scène. Le commissaire joue au chef d’orchestre, sinon à la diva. Busine se sert de son répertoire avec une jubilation qui emporte les réticences. Qu’importe l’absence d’une signalétique dont le caractère pédagogique a dû paraître trop peu esthétique. Qu’importe les partis pris parfois abstraits, ou les choix totalement subjectifs. L’idée tient dans l’accumulation cernant le visiteur de ce “grenier le plus extraordinaire du monde” : boîtes à chaussures, linge de corps, costumes, casques révèlent les réserves et évoquent la ruche qui, loin derrière la scène, s’active pour rendre possible le spectacle. Celui-ci reste absent en apparence. Si les décors jalonnent le parcours – à commencer par la fabuleuse reconstitution d’une maquette d’un opéra baroque réalisée par Michel Dumont et Thierry Bosquet –, l’action semble sans cesse différée. Dans cet écart qui suggère l’émotion en la reportant ailleurs, l’art contemporain vient se glisser pour évoquer et suggérer. Laurent Busine a choisi des artistes qui lui sont chers, comme si l’émotion ressentie devant l’œuvre ouvrait la voie à d’autres sensations, inscrites dans l’opéra, qui ne peuvent se vivre qu’en salle, dans l’obscurité magique du spectacle. James Lee Byars, David Claerbout, Thierry De Cordier, Michel François, Luciano Fabro, Peter Fischli & David Weiss, Fausto Melotti, José Maria Sicilia et Thomas Ruff font ainsi leur entrée. Si l’on peut regretter que les œuvres présentées aient souvent été conçues et exposées dans d’autres contextes et à d’autres fins, on ne peut nier la qualité des liens et des passages qui font de l’exposition un dialogue entre l’opéra, comme machine à créer du rêve, et l’œuvre visuelle, comme présence singulière. Le caprice de la diva trouve sa signification : l’opéra est, par essence, une œuvre collective qui se cristallise et prend vie dans le regard unique de son metteur en scène. Laurent Busine s’est révélé ici un parfait “montreur”. Sans dévoiler l’opéra, il en a transmis l’esprit. Nul doute que la saveur de ce “chant d’étoiles” donnera envie d’en entendre plus.

- L’OPÉRA. UN CHANT D’ÉTOILES, jusqu’au 2 juillet, Ateliers de La Monnaie, 23 rue Léopold, Bruxelles, tél. 32 70 23 39 39, tlj sauf lundi 12h-18h, jeudi 12h-20h. Catalogue 330 p., 1 250 FB.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Plaisirs de diva

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