Pierrick Sorin : « Les jouets me servent à créer des mises en scène »

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 16 novembre 2011 - 893 mots

Né en 1960 à Nantes, Pierrick Sorin est artiste vidéaste.
Il est le directeur artistique de l’exposition « Des jouets et des hommes »
au Grand Palais, dont il ponctue le parcours de ses installations.

L’œil : En quoi a consisté votre rôle de directeur artistique ?
Pierrick Sorin : Comme on est venu me chercher, j’ai eu une très grande liberté. Mon cahier des charges était souple : créer quatorze dispositifs ludiques en rapport avec les différentes thématiques de l’exposition. J’avais le choix : simple projection, théâtre optique, animation interactive… Cette exposition devait s’adresser à un public varié, j’ai donc opté pour des installations « grand public », sans tomber dans le divertissement populaire à la Walt Disney.

L’œil : Qu’est-ce qu’un jouet ?
P. S. : Un jouet a une matérialité physique, pas comme un jeu vidéo qui, lui, est virtuel, dématérialisé. Un jouet n’a pas d’autre finalité que de procurer une forme de plaisir. Deux notions qualifient le jouet : le mouvement et l’invitation à l’imaginaire. En ce sens, un sex toy est un jouet à part entière. Le plaisir est alors lié au mouvement et à l’imaginaire fantasmatique.
Un jouet devient jouet au moment où sa fonctionnalité opère. Une petite voiture n’est un jouet qu’entre les mains de l’enfant. Un jouet derrière la vitrine d’un magasin est un objet mort.

L’œil : N’y a-t-il donc pas un paradoxe à exposer des jouets ?
P. S. : Certes, il y a une contradiction fondamentale, mais il ne faut pas jeter la pierre aux commissaires[Bruno Girveau et Dorothée Charles], car il y a des contraintes liées à la conservation des jouets. On peut effectivement regretter que la présentation ne soit pas plus ludique. Exposer ces jouets a néanmoins un intérêt documentaire.

L’œil : Quels souvenirs gardez-vous de vos jouets ?
P. S. : Mon premier souvenir est un miniprojecteur en matière plastique avec lequel je projetais des films de Charlot et de Laurel et Hardy. Ces films, on pouvait les « triturer », en l’occurrence les ralentir ou les accélérer et même les projeter à l’envers. C’était un jouet, mais il fonctionnait comme un vrai projecteur. Grâce à une petite manivelle, on pouvait en quelque sorte faire ce que font aujourd’hui les V.J. [« vidéo-jockeys », NDLR]. Je me souviens aussi de la voiture à pédales que je n’ai jamais eue. J’aime bien aussi le baby-foot, un jeu ludique qui entraîne des relations sociales et des règles. En fait, je suis devenu très vite sérieux. Je n’aime pas les achats ludiques. Je n’ai conservé aucun jouet.

L’œil : Vous jouez néanmoins beaucoup en construisant des saynètes burlesques. Le faire avec des jouets vous facilite-t-il la tâche ?
P. S. : J’ai un rapport singulier au jouet qui est lié à la nécessité de la production de films. Les jouets me servent à créer des mises en scène. Il m’arrive de les « démonter » et de les recomposer à ma façon. Dans mes théâtres optiques, je fabrique des petits personnages en monogramme qui se promènent au milieu de jouets qui sont, en fait, des modèles réduits d’objets réels, des ersatz d’objets. Le jouet permet, en outre, de réaliser des choses trop compliquées à faire dans la réalité. Filmer un train en maquette est beaucoup plus facile que de le filmer réellement. Avec un jouet, on a plus de liberté… et la production coûte moins cher.

L’œil : Votre objectif est-il d’être ludique ?
P. S. : Mon travail, même s’il arbore un aspect ludique, l’est en réalité beaucoup moins qu’il n’en a l’air. Il y a systématiquement plusieurs niveaux de lecture. J’essaie d’attirer l’attention sur des aspects de la vie qui ne sont pas roses. L’enfant qui se balance sur un cheval à bascule est très étrange : il effectue un mouvement si répétitif qu’il pousse des cris quasiment de jouissance. Autre exemple : le personnage qui chante dans la maison de poupée est un peu fou, en tout cas inadapté au monde, or il s’en dégage néanmoins une certaine poésie. Ces installations expriment en filigrane une idée sur le sens. D’autres sont purement décoratives, animent l’espace. D’ailleurs, il y en a certaines au sujet desquelles je suis un peu dubitatif, comme ce film dans lequel des animaux naviguent dans des barques. Mais lorsque je vois la joie que ces installations procurent aux visiteurs, je n’ai aucun regret.

L’œil : Il existe une forte distinction entre les jouets pour garçons et les jouets pour filles. Comment avez-vous abordé cette différenciation ?
P. S. : Cette dualité me gêne un peu. J’estime qu’un garçon peut jouer avec des poupées ou une fille avec des voitures. Reste que nous sommes issus de cette époque où la distinction se faisait ainsi : pourquoi ne pas la montrer ? Aujourd’hui, les questions de sexualité sont plus ouvertes. Sans doute fallait-il attirer l’attention dessus d’une manière plus détournée. Dans ma dernière installation, le visiteur peut se faire tirer le portrait et « coller » son visage sur un corps de poupée, aléatoirement féminin ou masculin. C’est une manière de bousculer le propos.

L’œil : Cette exposition vous a-t-elle donné des idées ?
P. S. : Oui, celle de faire une exposition sur les artistes contemporains qui introduisent le jouet dans leur travail. Je pense à Nicolas Darrot, auteur d’élégants objets automates, ou au musicien Pierre Bastien, qui invente de drôles de machines à sons. L’idée est encore à creuser.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Pierrick Sorin : « Les jouets me servent à créer des mises en scène »

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