Pierre et Gilles, les Two be free

L'ŒIL

Le 1 décembre 1998 - 373 mots

Depuis que Jean-Paul Gaultier leur a demandé de créer le visuel de ses campagnes de publicité – et jusqu’à son image de marque, en marin-Querelle de Brest –, tout le monde connaît la démarche de Pierre et Gilles. On imagine qu’ils furent un jour inspirés par les photographes de quartier de l’Inde, élevant leurs modèles au rang de divinités, débarrassés des outrages du temps grâce à un prodigieux travail de retouche et d’enluminure. Nos deux Parisiens ont ainsi pris un malin plaisir à reproduire la pieuse iconographie hindouiste, avec ses ors, ses fleurs, son charme onirique et parfumé. Leur vaste rétrospective, présentée à la Maison européenne de la Photo il y a deux ans, montrait à quel point l’imagerie religieuse populaire avait pu influencer leur technique, leurs idées, leur plastique. Images détournées, désacralisées, rendues à leur dimension de mystère. Images comme on en trouvait naguère, dans les livres d’enfants, en toute fausse innocence. L’un des ressorts essentiels de la créativité de Pierre et Gilles est d’ailleurs attaché au souvenir de ces lectures, de ces premiers éblouissements devant un monde imaginaire révélé par des photographes, des dessinateurs. Depuis leurs tous débuts, ils n’ont eu de cesse de mêler à cet imaginaire pétri de mémoire la présence de leurs amis, de leurs amours. Jusqu’à effacer la fragile frontière entre une réalité embaumée et un rêve peuplé de rémanences. Le choix d’œuvres récentes montrées ici reprend le thème chéri du marin, figure emblématique des amours de Mimi Pinson comme de l’univers plus trouble de Genet. Mais Pierre et Gilles abordent également des territoires plus sombres, évoquent une magie noire rappelant les figures vaudous de certains tableaux de Basquiat. Cependant, la grande nouveauté repose sur une série de portraits présentée comme l’illustration d’un roman policier où l’on croiserait les fantômes de Piaf, Carné, Gabin, Arletty, jaillis d’un Paris des années trente-quarante. Ces portraits « d’atmosphère » ont tous été réalisés en noir et blanc. Ce nouveau tournant amorce peut-être un retour à la photographie pure, dans la grande tradition – nostalgie oblige – des maîtres du genre, Harcourt, Raymond Voinquel ou Angus McBean. Avec cette ironie gentille et cet humour de gosse qui font tout le charme de nos héros.

Galerie Jérôme de Noirmont, 4 décembre-30 janvier.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : Pierre et Gilles, les Two be free

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque