Art moderne

XXE SIÈCLE

Picasso, alibi d’une exposition sur l’exil ?

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2019 - 514 mots

TOULOUSE

Les Abattoirs de Toulouse replongent dans les bouleversements causés par l’exil sur les artistes espagnols.

Toulouse. Pas plus qu’à Paris, Guernica, ce cri de rage de Picasso contre le massacre fasciste, ne viendra aux Abattoirs de Toulouse. Pourtant, on verrait bien cette œuvre à Toulouse, au cœur de la région Occitanie. Plus au sud, en 1939, 500 000 républicains espagnols traversent la frontière française et sont détenus en grande partie dans des camps de réfugiés – Saint-Cyprien, Barcarès, Rivesaltes, Argelès-sur-Mer… Pour autant, fallait-il placer cette manifestation sous la tutelle de Picasso ? Certes, on retient sa prise de position vis-à-vis du franquisme – il refuse de retourner en Espagne et de cautionner ainsi le dictateur. Certes encore, son engagement pour la paix avec le parti communiste en fait un symbole universel. Néanmoins, il est difficile de comparer la position de Picasso, installé à Paris depuis 1900, à celle des artistes qui travaillent dans des conditions parfois extrêmement précaires. Retenons toutefois la juste remarque d’Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs, pour laquelle l’exil ne signifie pas uniquement l’obligation de partir, mais également l’impossibilité de revenir.

Guernica n’est jamais loin

Quoi qu’il en soit, il est indéniable que Picasso use de sa notoriété pour venir en aide aux exilés et avant tout aux artistes. Il fait partie en 1938 du Comité national d’aide au peuple espagnol, lancé par le journal madrilène La Voz et verse des sommes d’argent importantes pour le fonctionnement de l’hôpital Varsovie à Toulouse. De même, sa présence médiatisée est essentielle pour les expositions de soutien aux républicains. Les œuvres de certains artistes qui ont participé à ces manifestations – Joan Miró, Óscar Domínguez, Luis Fernández Antonio Saura ou encore Julio González et sa fille Roberta – sont montrées aux Abattoirs. Plus étonnants sont les travaux réalisés par les artistes pendant leur séjour dans des camps de réfugiés. Aux côtés d’un peintre connu comme Antoni Clavé sont montrées ainsi les toiles de Josefin et Javier Vilató, neveux de Picasso.

Cependant, même – surtout ? – absente, Guernica ne quitte jamais l’imaginaire collectif. Deux œuvres s’y réfèrent : la première, celle de Damien Deroubaix, Garage Days Re-visited (2016), une version littérale – bois gravé et encre – n’ajoute rien à l’original. La seconde, de Robert Longo, Guernica Reacted (After Picasso’s Guernica, 2014), est une reprise traversée par plusieurs bandes noires qui accentuent la fragmentation et le chaos de la scène initiale. Selon Longo, c’est : « Une méditation sur la différence entre regarder et voir. Il appelle à jeter un nouveau regard critique sur le cri emblématique porté par Picasso contre les atrocités de la guerre. »

La jeune génération espagnole est présente, regroupée sous le titre « Dulces Sueños ! » (Doux rêves), qui pratique une dialectique subtile entre mémoire et amnésie. L’Espagne ne cesse de se déchirer sur la question de son histoire. Doit-on oublier les crimes passés pour aller de l’avant ou les assumer pleinement ? Un tango endiablé, interprété par un couple de policiers en tenue de combat, Carlos Aires, Sweet Dreams (are made of this), (2016), [voir illustration] incarne parfaitement cette hésitation.

 

 

Picasso et l’exil : Une histoire de l’art espagnol en résistance,
jusqu’au 25 août, les Abattoirs, 76, allées Charles de Fitte, 31300 Toulouse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°522 du 26 avril 2019, avec le titre suivant : Picasso, alibi d’une exposition sur l’exil ?

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