Art contemporain

Peter Doig ses peintures atmosphériques

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 29 mai 2008 - 563 mots

Avec une centaine d’œuvres, le MAMVP retrace le parcours de cet artiste écossais, star du marché de l’art mondial. Représentant de la jeune peinture anglaise, Peter Doig est fasciné par la nature. Mais une nature habitée par l’homme.

La peinture de Peter Doig est de celles qui affichent une authentique confiance en leur médium. Au point d’en évacuer toute distance critique et filiation conceptuelle. Un double handicap en France où la peinture ne s’entend que si elle com mence par justifier d’elle-même et de son histoire.
Après l’accueil critique plutôt frais de « Cher peintre », prudente exposition organisée en 2002 au Centre Georges-Pompidou, et une première grande exposition monographique de Peter Doig au Carré d’art à Nîmes en 2004, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris (MAMVP) s’offre l’exposition de l’un des parangons britanniques d’une peinture accueillante, plébiscitée par le public comme par le marché.

Proche du romantisme allemand
La quarantaine de toiles sélectionnées à l’occasion de cette étape du Peter Doig Tour (Londres, Paris, Francfort) donne un bel aperçu de vingt ans d’une peinture obstinée qui aura surfé sur le retour à la figure dans les années 1980, encaissé son échec – y compris en Angleterre – avant de renouer avec le triomphe il y a peu.
De Doig on sait tout ou presque, qu’il est écossais, que son éducation fut canadienne, qu’il voyage et a voyagé beaucoup, qu’il vit entre Trinidad et Londres, qu’il fut nommé au Turner Prize en 1994 et que si ses grandes compositions traitent pour beaucoup de la solitude de la condition humaine, la question du quoi peindre demeure encore son affaire centrale.
Paysages empathiques, larges formats séducteurs, changements de textures, espaces et échelles irrésolus, les paysages à effets de Doig reconfigurent des souvenirs à partir de son expérience propre de la nature et du flux d’images qui les enregistre. À l’image de Blotter (« Buvard »), inspiré par une photo de famille et représentant un personnage solitaire absorbé dans un paysage neigeux, occupé à son reflet, le regard baissé, comme une invite à entrer dans la toile. Jeux d’horizontales et de verticales, tons rosés sans doute empruntés aux paysages nordiques de Monet, le tableau s’ouvre sur l’expérience du spectateur.
On a d’ailleurs raccroché la peinture de Peter Doig et ses suggestions d’anachronisme au romantisme allemand d’un Caspar David Friedrich comme au symbolisme pessimiste d’un Munch ou flamboyant d’un Odilon Redon. Mais encore à Cézanne, Bonnard ou même à la psychologisation du paysage captée par Hopper. À cet anachronisme sans nostalgie, Peter Doig prend toutefois soin d’adjoindre un peu de contemporanéité engourdie : motifs – terrains de sport, bordures d’autoroutes et immeubles – comme manière – cadrages, lumière et point de vue empruntant au cinéma et à son imagerie.
Reste qu’entre rhétorique mélancolique, temps suspendu et explosion étoilée de couleurs dans un espace irréel tendance hippie, les souvenirs approximatifs peints par Doig
laissent en effet une place béante au spectateur.

Biographie

1959
Naissance à Édimbourg.

1979
Après une enfance passée au Canada, il entre à la School of Art de Wimbledon à Londres.

1980-1983
Etudie au Saint Martins College of Art and Design de Londres.

1989-1990
Etudie à la School of Art de Chelsea à Londres.

1998
Exposition à la Kunthalle Kiel en Allemagne.

2005
Professeur à la State Academy of Art de Düsseldorf.

2008
Rétrospective Peter Doig à l’ARC jusqu’au 7 septembre 2008.

Doig, Saatchi, Sotheby’s et le marché

Le collectionneur russe serait devenu l’incarnation brutale et enthousiaste d’un marché de l’art boulimique tendance hystérique. À vrai dire, la shortlist des prix records s’enorgueillit souvent de noms venus de l’Est, et la petite histoire aime à faire de l’acheteur russe un amateur suiveur et empressé.
Qu’on se souvienne de la transaction qui fit les choux gras condescendants de la presse du genre : Londres, Sotheby’s, 7 février 2007, le tableau White Canoe de Peter Doig est cédé pour la somme démente de 8,2 millions d’euros à un acheteur russe. Soit cinq fois son estimation, bombardant du même coup le peintre écossais – à quarante-huit ans seulement – recordman de vente « pour un artiste européen vivant » (Roxana Azimi). Cinq ans plus tôt, une toile issue de la même série était adjugée pour environ 350 000 euros.


White Canoe, un soufflé vite retombé ?
Que s’est-il passé ? White Canoe, daté de 1990/1991, a d’abord été habilement défendu dans l’exposition « Triumph of Painting » montée par le publicitaire anglais Charles Saatchi pour promouvoir sa propre collection. La toile est ensuite vendue à Sotheby’s, qui l’adjuge un an après pour la somme que l’on sait après un combat de coqs livré entre une poignée de prétendants. Si Doig passe instantanément du statut de représentant de la jeune peinture anglaise à celui de star internationale, la vente n’est pas pour autant suivie d’une folle réévaluation de cote. Il y aura inflation – notamment auprès de ses galeries londonienne et new-yorkaise –, mais raisonnable inflation. Pour les toiles les plus récentes, les prix se stabilisent plus près de 2,5 que de 7,6 millions d’euros tout en maintenant le peintre dans le cercle très fermé des artistes contemporains à « millions ». C’est un « one shot », confirme le journaliste Harry Bellet, qui aura surtout « fait grimper le prix des assurances pour l’exposition à Paris » ! La levée de soufflé de février dernier en est donc restée – pour l’instant – au stade d’épiphénomène. En résulte peut-être une relative défiance critique à l’égard de la peinture de l’Écossais, estampillée Saatchi, surmédiatisée par son record et archivée au rayon peinture de marché.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : Peter Doig ses peintures atmosphériques

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