Paysages sur le vif

La naissance d’un genre racontée au Grand Palais

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 13 avril 2001 - 848 mots

À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, la peinture de paysage, jusque-là considérée comme mineure, s’affirme comme un art à part entière, dégagé des sujets religieux, historiques et mythologiques. Le Grand Palais a voulu saisir ce moment – de 1780 à 1830 – où des peintres venus d’Europe inventent en Italie un langage non descriptif et expérimentent de nouvelles techniques. Malgré la qualité indéniable de certaines études peintes – aquarelles et huiles sur papier –, la manifestation a du mal à reprendre son souffle, alignant les paysages parfois jusqu’à saturation.

PARIS - “Il faut que les élèves s’occupent de l’étude même de la nature : c’est au milieu des campagnes qu’ils doivent prendre leurs premières leçons [...]. Des études de cabinet, des copies sur des copies, ne remplaceront jamais un travail d’après nature”, écrivait Chateaubriand en 1795 dans sa Lettre sur le paysage en peinture. Suivant les bons conseils de leurs aînés, les jeunes peintres européens se rendent en Italie – à Rome, Subiaco et Tivoli, Naples, Terni en Ombrie, Capri, Sorrente ou au Vésuve – pour étudier les monuments et les vestiges antiques ; ils y découvrent la peinture de “plein air”. Réalisés directement “sur le motif”, les nombreux paysages, aujourd’hui soigneusement rangés le long des cimaises du Grand Palais, étaient en fait destinés à servir de modèles pour réaliser en atelier des scènes historiques ou mythologiques. Mais “l’exercice quotidien du plein air” semble avoir bouleversé les principes académiques, puisqu’il “fonctionnait en effet comme un extraordinaire accélérateur de la pensée, entraînant l’artiste bien au-delà de ce que lui-même avait imaginé. Et il dévoilait bien vite un potentiel d’innovation que le peintre n’avait pas entièrement prévu”, explique Anna Ottani Cavina, une des commissaires de l’exposition. De Francis Towne à Thomas Jones et John Roberts Cozens, les Anglais ont été parmi les premiers à innover. De toutes ces œuvres réalisées à partir de lieux quelconques – des maisons au-delà d’une route, une haie, des parcs abandonnés et sauvages – se distingue Un mur à Naples (1782) de Thomas Jones, petite étude aux formes pures et compactes. D’une apparente simplicité, cette image introduit un changement radical : elle n’est pas la synthèse de différents fragments mais une vision réelle non décomposable. Toutes les toiles présentées (des petits formats) illustrent plus ou moins cette nouvelle manière abrégée de construire l’image, l’absence de la narration et la fin du pittoresque. L’huile sur papier et l’aquarelle, cette dernière permettant une réelle rapidité d’exécution, ont joué un rôle important dans la genèse de ce nouveau langage synthétique et chromatique. Grâce à ces techniques, Francis Towne a pu retranscrire la surface irrégulière de la pierre dans Les Thermes de Caracalla (1791) ou La Roche Tarpéienne (1781), et John Robert Cozens projeter dans des camaïeux de bleus, gris, verts pâles, ses aspirations mélancoliques, comme l’illustre La Villa Madame à Rome (1791).

Le sentiment de la nature
Dans son huile sur papier marouflé Orage à la Fayole près du lac de Nemi (non datée), Pierre-Henri de Valenciennes a fait disparaître les nymphes, les ruines et les décors mythiques au profit d’une nouvelle intuition de la nature qui s’approprie les lieux quotidiens. À l’instar de cet artiste et théoricien, des peintres tels que Jean-Antoine Constantin ou Simon Denis dépeignent la nature dans tous ses états : en pleine lumière, au crépuscule, sous la pluie... Avec Coucher de soleil sur la campagne romaine, François-Marius Granet représente sans aucun artifice et avec une très grande liberté des lieux immatériels et changeants, par le biais d’une peinture épaisse, un fort effet de frottis et des premiers plans toujours flous. Mais le genre du paysage connaît son apogée avec Corot, dont le célèbre voyage en Italie (de 1825 à 1828) est largement évoqué. Le Colisée vu à travers les arcades de la basilique de Constantin témoigne de ce nouveau regard direct, lucide et réaliste, développé par l’artiste. Les images rapportées par les peintres allemands, scandinaves et russes, évoquent un langage pictural moins radical, plus poétique et teinté d’une certaine nostalgie. C’est le cas de Coup de vent sur la baie de Naples (1833) du Norvégien Thomas Fearnley, illustrant l’aspect menaçant et grandiose de la nature, mise en scène de manière dramatique. L’étude se réfère largement aux travaux de son maître Johan Christian Dahl dont les panoramas, telle La Baie de Naples avec le Vésuve (1821), trahissent de profonds états d’âme. La génération des années 1820-1830 a ajouté aux bases académiques le “sentiment de la nature”, les émotions personnelles, pour finir de transformer le genre. Sans surprise, le parcours s’achève sur Venise, la Piazzetta avec la cérémonie des épousailles avec la mer (1835), de Turner et la représentation de Tivoli, les jardins de la villa d’Este, de Corot, vue qui n’est plus une étude destinée à servir à des compositions d’atelier mais bien une œuvre à part entière.

- PAYSAGES D’ITALIE – LES PEINTRES DU PLEIN AIR, 1780-1830, jusqu’au 9 juillet, Galeries nationales du Grand Palais, place Clemenceau, 75008 Paris, tél. 04 77 79 52 52, tlj sauf mardi, 10h-20h et 22h le mercredi. Catalogue RMN, 384 p., 340 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : Paysages sur le vif

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque