Paysage avec Vénus et Adonis de Tobias Verhaecht

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 23 avril 2025 - 1053 mots

Lié à l’invention de la perspective, l’horizon se généralise dans les tableaux à la Renaissance. Le Musée des beaux-arts de Caen, dans son exposition « L’horizon sans fin », du 10 mai au 5 octobre, montre la révolution picturale que cette fine ligne a introduite dans les reproductions de paysages.
Horizon : ligne imaginaire semblant séparer le ciel de la terre, ou de la mer. La définition la plus stricte du terme dit déjà beaucoup de ce qu’incarne l’horizon et de la raison pour laquelle il fait tant fantasmer les artistes depuis des siècles. Il relève en effet en grande partie de l’imaginaire. Il condense par ailleurs de nombreuses questions qui animent les peintres, puisqu’il interroge la notion même de perception et la représentation de l’espace. Il permet aussi de mettre en image ce que le regard ne peut qu’imaginer, en ouvrant la vue potentiellement à l’infini. Logiquement, ce motif s’épanouit à partir de la Renaissance en même temps que la perspective dont il est totalement indissociable, la ligne d’horizon étant souvent un des artifices permettant de suggérer la profondeur dans un tableau. L’engouement pour ce sujet accompagne également le développement des sciences et l’essor de la cartographie, qui sont caractéristiques d’une époque qui tente de mesurer et de maîtriser le monde qui l’entoure. En Europe, le genre du paysage encore balbutiant connaît ainsi au XVIe siècle un développement spectaculaire, au nord comme au sud, porté par le souffle de l’humanisme. Ce sujet nouveau, qui répond parfaitement à la curiosité de ses contemporains avides de découvertes, s’impose rapidement comme le thème à la mode. De nombreux artistes se spécialisent dans ce genre, notamment dans les Flandres en lui apportant une tonalité particulière : le paysage panoramique. Ces tableaux ont aussi été qualifiés de paysages-mondes car ils condensent sur quelques centimètres carrés toutes les beautés de la nature et de la civilisation. Ces territoires souvent fantaisistes, mêlant des éléments réels et d’autres fictifs, se déploient dans un format horizontal, alors inhabituel en peinture. Ces vues, saisies depuis un point culminant, prennent vie grâce à l’évocation de l’horizon le plus souvent par des effets de perspective atmosphérique, reposant sur de subtils dégradés de couleurs froides.
Paysage animé
Au XVIe siècle, Joachim Patinir (1480-1524) pose les jalons du paysage panoramique. Dans son sillage, d’autres peintres flamands déclinent ce genre dont l’Anversois Tobias Verhaecht (1561-1631). Très célèbre en son temps, il est un professeur estimé qui forme notamment un certain Pierre Paul Rubens (1577-1640), et les plus grands collectionneurs s’arrachent ses paysages animés qui font sa réputation. La formule est quasiment inchangée : au premier plan se déroule une scène biblique ou mythologique devant un paysage fabuleux extrêmement détaillé qui devient progressivement flou plus on se rapproche de l’horizon. Le sujet principal du tableau, ici les amours sulfureuses de Vénus et Adonis (peint en 1600), est souvent le prétexte à brosser un paysage onirique dont le sel repose davantage dans les personnages secondaires. Le plaisir de l’amateur réside d’ailleurs dans le fait de débusquer ces minuscules figures rendues avec une précision stupéfiante. À l’image des deux bateliers convoyant une cargaison de barriques sur la rivière, ou du berger faisant paraître ses microscopiques moutons à droite du tableau.
Bleu de Flandres
Afin de suggérer la perspective et de matérialiser l’horizon, l’artiste s’appuie sur une gamme chromatique distinctive. On retrouve en effet cette harmonie colorée dans la majorité des tableaux de Tobias Verhaecht. Le premier plan est souvent dépeint en ocre, tandis que le vert occupe le centre de la composition avec une multitude d’arbres d’essences et de nuances variées. Cette gamme froide d’une grande finesse est complétée du bleu, teinte incontournable dans ses tableaux. Sous différentes nuances, il est omniprésent du cours d’eau qui serpente à travers toute la composition aux rochers dont le gris délicat est mâtiné d’un bleu léger. Sans même parler de l’arrière-plan presque abstrait composé de petites taches bleutées et de cet horizon brumeux et mystérieux que l’on devine derrière les nuages qui moutonnent. La récurrence de cette couleur, comme souvent dans les paysages flamands, anime le tableau et lui confère une tonalité fantastique qui sied bien au sujet mythologique de l’œuvre.
Paysage-monde
Cette toile de format modeste – 40 x 68 cm – parvient à contenir tout un univers sur quelques centimètres carrés. Il est emblématique du genre si prisé à l’époque des paysages-mondes qui juxtaposent dans un même environnement une somme de détails topographiques illustrant les merveilles de la nature. Grotte, rivière, forêt, prairie et bien sûr montagnes composent un univers extrêmement riche. Ce paysage, qui semble presque saisi par l’objectif d’un drone tant il est finement détaillé, comprend également de prestigieux éléments architecturaux : deux châteaux, un jardin aristocratique raffiné, mais aussi des tours d’églises que l’on distingue au loin. Certains éléments sont réels, le rocher évoque par exemple le site emblématique de Dinant et les tours sont peut-être un hommage à sa ville d’Anvers. D’autres éléments relèvent en revanche de la pure fantaisie et de la logique du collage, à l’image de cette cité idéale qui a davantage vocation à faire rêver plutôt qu’à illustrer un lieu en particulier.
Horizon incertain
Tobias Verhaecht excelle dans l’art du paysage rêvé et miniaturisé qui fait alors florès. Ce genre n’a pas qu’une vocation esthétique ou topographique, il a aussi une vertu philosophique car il offre une vision spiritualisée de la nature. Tous les éléments se complètent ainsi à merveille : la montagne, l’eau, les champs cultivés et la clairière. Ce paysage imaginaire est marqué du sceau d’une élite cultivée (le jardin) et empreint de spiritualité (les églises). La campagne est par ailleurs prospère et ordonnée, rien ne dépasse et, hormis les amants, tous les personnages sont saisis dans une activité laborieuse : les bateliers transportent des barriques, un cavalier achemine des denrées et un berger s’occupe de son troupeau. Cette image de la création divine est toutefois nimbée d’un horizon incertain et relativement inquiétant. Que se passe-t-il dans ce maelstrom nébuleux dans lequel on devine uniquement la silhouette des montagnes dans la brume ? Peut-être l’artiste cherche-t-il à mettre en garde contre les dangers du monde impie ?

1561
Naît à Anvers
Années 1580
Voyage à Rome et à Florence où il réalise des fresques
1590
Reçu comme maître au sein de la guilde de Saint-Luc
1592
Professeur de peinture de Pierre Paul Rubens
1600
Peint Paysage avec Vénus et Adonis
1631
Meurt à Anvers
À voir
« L’horizon sans fin »,
Musée des beaux-arts, Le Château, Caen (14), du 10 mai au 5 octobre, www.mba.caen.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°785 du 1 mai 2025, avec le titre suivant : Paysage avec Vénus et Adonis de Tobias Verhaecht

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