Paris-Bruxelles : un demi-siècle de connivences

Le Grand Palais, le Musée d’Orsay et le Musée Rodin inaugurent la saison belge

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 744 mots

Proches par la géographie et par la langue, Paris et Bruxelles ont multiplié, au XIXe siècle et au début du XXe, les échanges culturels, dans un aller-retour permanent de réflexions artistiques, littéraires ou musicales. Près de quatre cent cinquante œuvres évoquent au Grand Palais ces riches influences réciproques.

PARIS - L’histoire de la France et celle de la Belgique sont intimement liées, non seulement parce qu’une partie de la population belge s’exprime dans notre langue, mais aussi parce que le "Plat Pays" a été politiquement annexé par l’Hexagone en 1794, avant d’être divisé en neuf départements. Flandre et Wallonie n’ont cependant été définitivement indépendantes que dans la première moitié du XIXe siècle, en 1830 exactement, lorsqu’à la suite de Révolution de Juillet, la Belgique a pris conscience de son identité nationale. Pourtant, les relations entre les deux pays n’ont cessé d’être étroites tout au long du siècle dernier et, au gré des changements de régime et des censures, de nombreux artistes, écrivains et musiciens ont franchi à tour de rôle, et d’un côté comme de l’autre, une frontière qui est resté politique et non intellectuelle.

Après les manifestations-fleuves organisées par le Centre Georges Pompidou – "Paris-New York" en 1977, "Paris-Berlin" en 1978, et "Paris-Moscou" en 1979 –, le Musée d’Orsay, dont la programmation est souvent qualifiée de franco-française, se devait de consacrer une exposition aux relations entre Paris et Bruxelles, puisqu’il s’agit d’une histoire largement écrite au XIXe siècle. L’idée n’est pas récente : Françoise Cachin, actuel directeur des Musées de France et ancien directeur du musée sis quai Anatole France, se plaît à rappeler que le projet date du début de l’institution, de 1987 précisément. Aussi, et c’est peut-être regrettable, l’exposition présentée au Grand Palais, en raison du nombre de pièces réunies – près de quatre cent cinquante numéros –, se borne-t-elle strictement aux années couvertes par le Musée d’Orsay, soit 1848-1914.

Le parcours de l’exposition débute pourtant par une toile "hors période", mais hautement symbolique puisqu’il s’agit de la visite du premier roi des Belges en France, La réception du roi Léopold 1er par le roi Louis-Philippe à Compiègne, peinte par Anton Van Ysendyck en 1832. La première section de la manifestation aborde l’historicisme à travers des œuvres qui reprennent, en Belgique, le style des anciens peintres flamands, telle La promenade hors les murs (1854) d’Henri Leys. Rubens a également exercé une fascination sur un certain nombre de sculpteurs : après son séjour à Bruxelles, Carpeaux rendra plus plantureux et nerveux le groupe du Pavillon de Flore, dans un haut relief-en terre cuite de 1873 qui s’en inspire. En architecture, le deuxième roi des Belges, Léopold II, dont le règne correspond d’ailleurs à une période exceptionnellement prospère pour le royaume, fit appel à l’architecte français Charles Girault pour construire notamment l’hippodrome de Mariakerke, dans un style proche de celui des écuries de Chantilly.

Une volonté de pluridisciplinarité
La deuxième moitié du XIXe siècle est marquée, tant en France qu’en Belgique, par le Réalisme, respectivement par les Écoles de Barbizon et de Tervueren. Gustave Courbet, qui a exposé à Gand, eut également une grande influence sur la peinture belge, en particulier sur Jacques-Joseph Tissot ou sur Félicien Rops. Les années 1860 sont en effet une période d’ouverture au Modernisme en Belgique, un intérêt pour la nouvelle peinture qui s’est également poursuivi à l’époque de l’Impres­sionnisme. Les toiles française sont régulièrement exposées dans le pays, à l’image de Chez le père Lathuille (1879) de Manet. La Bel­gique accueille dans le même temps de nombreux hommes de lettres français : Victor Hugo, fuyant en 1851 le régime de "Napoléon-le-Petit", Baudelaire, en 1864, ou encore Verlaine et Rimbaud, en 1873, le Symbolisme faisant alors le voyage retour de Bruxelles vers Paris. Au tournant du siècle, la capitale belge devient celle de l’Art nouveau, dont l’un des principaux promoteurs fut Victor Horta. Si ce mouvement a ensuite été repris, non sans polémiques d’ailleurs, à Paris par des architectes tels que Guimard, le Bruxellois, dans son utilisation de la structure métallique, doit beaucoup aux constructions en acier d’Eiffel et connaissait bien également les écrits de Viollet-le-Duc. Enfin, dans une volonté affichée de pluridisciplinarité, "Paris-Bruxelles" fait la part belle à la musique, à l’orfèvrerie, aux affiches, ivoires, meubles, reliures, textiles et vitraux.

PARIS-BRUXELLES, BRUXELLES-PARIS, 1848-1914, RÉALISME, IMPRESSIONNISME, SYMBOLISME, ART NOUVEAU, 21 mars-14 juillet, Galeries nationales du Grand Palais, Entrée Clémenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi 10h-20h, mercredi 10h-22h. Catalogue 520 p., 350 F env.

Verhaeren critique d’art
En parallèle à "Paris-Bruxelles" au Grand Palais, le Musée d’Orsay propose une exposition-dossier consacrée au critique d’art et poète symboliste Émile Verhaeren (1855-1916), au moment où sont publiés ses écrits sur l’art. Collaborateur de plusieurs quotidiens et revues artistiques d’avant-garde belges (L’art moderne, La Jeune Belgique) et françaises (La Revue Blanche ou La Plume), Verhaeren a été l’un des meilleurs connaisseurs de la peinture de son époque, visiteur assidu des expositions et des salons. Le Musée d’Orsay présente un certain nombre de toiles d’artistes qu’il soutenait, notamment Ensor et Knopff, sur lesquels il publia par ailleurs des études. Profondément nationaliste, il n’a cessé de déplorer, ou même parfois nier, l’influence des artistes français sur la peinture européenne et plus particulièrement belge. Il était ainsi navré que Courbet ait "empêtré dans le gris" un certain nombre de ses compatriotes. Critique attitré du mouvement de la Libre Esthétique, Verhaeren s’est également penché sur l’art ancien et fut l’un des premiers à redécouvrir Grünewald. L’exposition réunit des extraits de ses textes critiques, des lettres et des documents témoignant de ses échanges avec des artistes qui furent ses contemporains.
ÉMILE VERHAEREN : UN MUSÉE IMAGINAIRE, 18 mars-14 juillet, Musée d’Orsay, 1 rue de Bellechasse, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 14, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-21h45, dimanche 9h-18h.

Rodin et la Belgique
Rodin a séjourné en Belgique de 1871 à 1877, six années durant lesquelles il réalise des sculptures décoratives avant de concevoir sa première grande œuvre exposée à Bruxelles, puis à Paris : l’Âge d’Airain. Rodin quitte Paris en 1871 pour rejoindre à Bruxelles le sculpteur Albert Carrier-Belleuse, qui réalise les décors de plusieurs bâtiments de la capitale belge, notamment la Bourse de Commerce, le Palais des Académies et le Conservatoire royal de musique. Rodin s’associe pourtant rapidement avec le Belge Joseph Van Rasbourgh, et exécute de nombreux bustes décoratifs dans le goût du Second Empire pour pouvoir s’assurer un revenu décent. Il réalise également des paysages – sanguines et peintures –, dont un certain nombre sont montrés ici pour la première fois. De 1875 à 1877, l’artiste se consacre à l’Âge d’Airain, pour lequel il développe un style plus personnel. La qualité du modelage est telle que des détracteurs assurent qu’il s’agit d’un moulage, propos démentis par la photographie de son modèle. L’exposition du Musée Rodin réunit également des œuvres d’artistes que le sculpteur a côtoyés durant son séjour en Belgique, tels Gustave Biot, Paul De Vigne ou Félicien Rops.
VERS L’ÂGE D’AIRAIN, RODIN EN BELGIQUE, 18 mars-15 juin, Musée Rodin-Hôtel Biron, 77 rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 01 44 18 61 10, tlj sauf lundi 9h30-16h45 (17h45 à partir du 1er avril), entrée : 28 F. Tarif réduit : 18 F. Catalogue 500 p

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Paris-Bruxelles : un demi-siècle de connivences

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