Ouvrir l’espace

Richard Meier, un moderne atypique américain

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 1999 - 739 mots

Atypique dans le paysage architectural américain, fréquemment comparé à Le Corbusier, adepte de la lumière et du blanc, perpétuateur de la tradition moderne, Richard Meier, auteur notamment du siège de Canal à Paris, a lui-même conçu son exposition au Jeu de Paume dans un souci de lisibilité et de pédagogie extrême. Dessins, plans, maquettes, photographies retracent un parcours de 25 ans, de la maison Smith à l’Église de l’An 2000.

PARIS - Le reproche le plus souvent énoncé à l’encontre de Richard Meier l’est toujours sur un ton légèrement condescendant. Meier serait, selon ses détracteurs, l’architecte qui aurait le mieux “lu” Le Corbusier et, partant, ferait du Le Corbusier mieux que “Corbu” lui-même... S’en tenir à ce jugement lapidaire serait faire peu de cas de la singularité de l’architecte américain qui a le mieux retenu la leçon du “mouvement moderne” et a su assez admirablement l’adapter au contexte américain.
“Chacune des réalisations de Meier, chacun de ses projets apporte, à son niveau et dans son ordre propre, la preuve qu’on est loin d’en avoir fini avec l’architecture dite “moderne” et que le travail, en réalité, ne fait que commencer. Un travail que je dirai adulte : si histoire de l’architecture il y a, elle passe par là et emprunte son sens de la volonté obstinée qui est le fait d’un homme comme Richard Meier de ne rien laisser perdre de l’expérience formelle de ce siècle et de ses acquis”, écrit l’historien et critique d’art Hubert Damisch (1), qui ajoute : “Non, ce n’est pas la nostalgie qui a fait Richard Meier se tourner vers Le Corbusier, mais bien plutôt la volonté de surmonter une résistance qui a fini par prendre en ce pays un sens quasi-freudien, et d’introduire dans le jeu américain une pièce trop longtemps réservée, tenue à l’écart, et qui doit nécessairement faire l’objet d’une prise en compte explicite pour que l’aventure architecturale de ce siècle acquière ici valeur d’histoire”.

Dès sa première œuvre, la maison Smith édifiée à Darien, dans le Connecticut, s’affirme cette volonté qui est la sienne de s’inscrire dans la lignée des hérauts de l’architecture moderne : Le Corbusier, Aalto, Khan ou encore Wright. Et d’emblée se manifeste sa volonté d’ouvrir l’espace à la pénétration lumineuse. Une volonté qui va se déployer trente ans durant, tout au long d’une litanie de bâtiments où dominent les maisons individuelles et les musées : outre la maison Smith, la maison Douglas (Michigan, 1973), la maison Ackeberg (Californie, 1984), la maison Grotta (New Jersey, 1989), la maison Rachofsky (Texas, 1996), la maison Neugebauer (Floride, 1998)... – qui toutes, à l’évidence, s’apparentent aux villas blanches de Le Corbusier –, le Museum für Kunsthandwerk à Francfort (1985), le High Museum of Art d’Atlanta (1983), le Musée d’art contemporain de Barcelone (1995), et, considéré comme le “chantier du siècle”, le Getty Center de Los Angeles (1984-1997)...

Distribution complexe des volumes
Une ouverture à la lumière extraordinairement sophistiquée qui va s’articuler autour d’une distribution complexe des volumes et des dispositifs spatiaux, et que la présence permanente de la couleur blanche démultiplie à l’infini en provoquant des contrastes violents rehaussés par des formes abstraites pures. “La notion de promenade architecturale, de séquence spatiale est, pour moi, essentielle”, se plaît à affirmer l’architecte. Aucun de ses bâtiments n’échappe à cette volonté. Perspectives et trouées, transparences et opacités, découvertes et traversées, rebondissements et passerelles, coursives et déambulatoires les scandent pour un plaisir d’usage rarement égalé.
L’exposition présentée au Jeu de Paume, conçue par Meier et première étape d’un périple qui la conduira dans sept grands musées du monde – dont le Museum of Contemporary Art de Los Angeles, coproducteur de la manifestation –, célèbre donc un architecte couvert d’honneurs et de récompenses, qui fut le plus jeune lauréat, en 1984, du Pritzker Architecture Prize.

Richard Meier aime à citer Alberti : “La beauté consiste en une intégration rationnelle des proportions de toutes les parties d’un bâtiment, de telle façon que chaque partie possède une taille et une forme absolument définies, et que rien ne puisse être ajouté ou retiré sans détruire l’harmonie de l’ensemble.” Renaissant et/ou moderne, Richard Meier, soixante-cinq ans, met actuellement la dernière main, à Rome, à l’Église de l’An 2000.

(1) Richard Meier, sous la direction de Valérie Vaudon, Electa-Moniteur, 1986.

RICHARD MEIER

13 juillet-26 septembre, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, tlj sauf lundi 12h-19h, mardi 12h-21h30, samedi-dimanche 10h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Ouvrir l’espace

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