Objets du secret

Un double regard sur les réceptacles d’Afrique

Le Journal des Arts

Le 21 novembre 1997 - 555 mots

Évitant l’écueil d’un inventaire banal des plats, poteries et autres ustensiles d’Afrique, le Musée Dapper montre, grâce à un choix représentatif, des sculptures-réceptacles, rituelles et sacrées qui, au-delà de leurs qualités esthétiques, révèlent les mystères de leurs usages cachés.

PARIS. Avec “Réceptacles”, le Musée Dapper offre une occasion devenue rare dans les expositions : apprendre “à regarder le monde deux fois”, comme l’explique  François Neyt dans le livre-catalogue. “La beauté fascinante de ces objets mystérieux s’impose à notre regard : calebasses, coupes, statuettes cultuelles, pipes, porteuses de coupes se présentent (...) comme des microcosmes chargés de toutes les forces d’un monde imaginaire”. De fait, l’on découvrira à travers une centaine d’œuvres, derrière leurs formes les plus étranges, les plus incongrues, entre vide et plein, que chacune d’entre elles renferme une force symbolique, une énergie invisible ou un rêve magique. Christiane Falgayrette-Leveau, directrice depuis onze ans de la Fondation Dapper, a orchestré de main de maître la présentation de ces objets de prestige, pour la plupart dévolus à des rites ou utilisés par les chefs et les rois. Un choix subtil et savant dont le propos, toujours esthétique, est servi par la muséographie de la décoratrice Marie-Claude Bérard, qui a misé sur des doubles panneaux gris et ocre superposés derrière chaque vitrine. Clin d’œil sans doute à la nécessité du double regard.

Léopard en laiton
En introduction, des poteries anthropomorphes (Cameroun, Niger), au ventre gonflé, rappellent les usages des réceptacles au quotidien : conserver, transporter, cuire... ou ceux, rituels, comme enterrer les morts. Au milieu, un léopard réaliste en laiton peut dérouter le néophythe qui, finalement, reconnaîtra l’un des plus beaux aquamaniles du Royaume de Bénin (Nigéria). Juste à côté, dans une minuscule pièce suggérant les cabinets de curiosités européens, sont réunies des productions d’ivoires dits afro-portugais. Ces salières, boîtes et œufs d’autruche décorés et adaptés au goût occidental forment, avec les boîtes royales d’Owo, des contenants de luxe pleins de fantaisie. La plupart des réceptacles sont liés en Afrique aux pratiques magico-religieuses (initiation, divination...). Au premier étage, un ensemble de porteuses de coupes  illustrent ces gestes millénaires et sacrés de l’offrande. Agenouillées (Yoruba) ou assises (Luba), les bras levés vers le ciel (Dogon) ou en position protectrice (Fang), les statues, par le biais du récipient qu’elles tiennent, créent ainsi le lien entre le visible et l’invisible, le terrestre et le spirituel. À côté des louches cérémonielles (Senufo), des statues représentant des chefs avec leur insignes de pouvoir, comme les pipes et tabatières (Tshokwe), signalent les différents usages des contenants souvent précieux. Enfin, dans la dernière partie de l’exposition ont été rassemblées des coupes, des boÎtes céphalomorphes, des pipes à tabac et à chanvre, ou encore des cornes sculptées provenant en majorité de l’Afrique centrale (R.D.C ex-Zaïre, Congo, Cameroun). Toutes sont décorées avec soin de motifs symboliques identiques à ceux que l’on retrouve sur les textiles ou les vanneries. La fonction, subordonnée aux caprices de la sculpture, doit se deviner : telle tête au menton fier dévoile une coupe à boire, telle statuette se dévisse pour recevoir de la  poudre, tel masque pivote pour dissimuler une boîte à fard, comme des boîtes de Pandore cachant les plus anciens secrets du monde.

RÉCEPTACLES, jusqu’au 30 mars 1998, Musée Dapper, 50 avenue Victor-Hugo, 75116 Paris, tlj 11h-19h, livre-catalogue collectif, 344 p., 218 ill. couleurs et n&b, 280 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°48 du 21 novembre 1997, avec le titre suivant : Objets du secret

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