Paroles d’artiste

Nelson Leirner

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 10 octobre 2003 - 742 mots

Figure de la scène brésilienne, Nelson leirner est né en 1932. Actif depuis le début des années 1960, il a été le cofondateur en 1966 de l’historique Grupo Rex. Il montre à l’occasion de cette première exposition personnelle parisienne, ouverte à la galerie Gabrielle Maubrie quelques jours avant la rétrospective du centre Culturgest à Porto, la liberté de ton, de vocabulaire et l’engagement qui habitent un travail souvent provocateur et polémique.

Votre travail parle de l’état du monde, par des symboles empruntés ou directement par vos détournements de cartes géographiques. Êtes-vous un artiste engagé ?
Entre 1965 et la fin des années 1970, mon travail avait un fort accent politique. Nous formions un groupe d’opposition politique par l’art : nos œuvres parlaient presque exclusivement de la dictature. J’ai été censuré, mis à l’écart, mais cela n’y a rien changé, au contraire. Même si aujourd’hui les enjeux de mon travail ne sont plus limités au seul Brésil, les problèmes politiques sont toujours là, cette fois à l’échelle de la mondialisation. Les engagements sont les mêmes. Je lutte en particulier contre le colonialisme des Américains ; ils nous prennent beaucoup plus qu’ils ne nous donnent, même sur le plan culturel. Ainsi, nous menons actuellement un combat à Rio de Janeiro contre l’implantation de la Fondation Guggenheim. Les artistes s’opposent à ce projet : chez nous, les musées n’ont pas un centime pour leur propre fonctionnement, alors que le gouvernement va dépenser des millions de dollars pour qu’un architecte vienne construire un nouveau musée ! Le Brésil est un pays pauvre : il a besoin de manger, pas d’un Guggenheim qui n’enrichit que les gouvernants.

Mais l’artiste est-il vraiment un citoyen comme un autre ? Qui prend sa protestation au sérieux ?
Je mets mes idées dans mes œuvres. Mais il y a un paradoxe, c’est vrai, car si je suis très critique dans mes pièces, elles n’en seront pas moins achetées, consommées. Que je me taise ou que je la “ramène”, elles sont dans un marché. C’est que les choses ne sont plus ce qu’elles étaient il y a quarante ans. Aujourd’hui, je considère mes pièces comme des produits et non comme des protestations avant tout : ce sont des produits critiques. Warhol et tout le pop ont vu cela très tôt, dès les années 1960, et c’est devenu maintenant une évidence. Dans ma position d’artiste aujourd’hui, il y a du cynisme, de l’ironie. Quand je travaille sur les catalogues de vente de Christie’s, et que je rapporte sur leur couverture un jouet sans valeur – des chiens en plastique sur une scène de chasse illustrant une vente de tableaux XVIIe siècle –, je joue avec le fait que le catalogue transformé pourra à son tour avoir une cote chez eux… Je joue à l’intérieur du système, sachant que nous ne sommes pas si nombreux à voir ce qui se passe là. Et même si j’utilise des matériaux ordinaires qui viennent de la boutique du coin, on sait que le langage des artistes est un langage à part.

Il y a aussi du jeu, là-dedans : l’installation qui accueille le visiteur de l’exposition chez Gabrielle Maubrie est une procession de statuettes, fétiches empruntés à des cultures de toute la planète. Ne jouez-vous pas là d’une forme d’exotisme ?
Ce sont six cents figurines qui dessinent un très rigide triangle, très organisé. Je voulais que tous les personnages soient comme en attente de quelque chose, debout. Et, comme je le fais habituellement, il y a une effigie propre à l’endroit où se tient l’exposition : une gondole à Venise ; des coqs peints au Portugal ; ici : une Tour Eiffel ! Alors oui, bien sûr, il y a quelque chose d’exotique là-dedans, mais, vous le voyez, tous les exotismes sont représentés : des bouddhas, des saintes chrétiennes et des christs, des cow-boys, des éléphants, des chats-théières japonais, et puis, à mi-hauteur du triangle, c’est le monde brésilien qui s’installe, un monde à la peau noire, où Noir d’Afrique et Indien d’Amérique se mélangent. Tous ces personnages sont issus de la culture populaire brésilienne, où les pratiques rituelles et religieuses – à l’exemple du football – sont très importantes car elles aident les gens à vivre malgré leur dénuement. Finalement, l’exotisme est devenu la chose la plus répandue du monde, et l’identité n’est plus qu’une affaire d’image.

Galerie Gabrielle Maubrie, 24 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, 75004, Paris, jusqu’au 8 novembre. Et au Culturgest, Porto, jusqu’au 29 décembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Nelson Leirner

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