Au 40mcube, l’artiste sétoise dissémine ses créatures indéterminées dans un environnement immersif, pensé comme un hymne à la diversité des corps.
Rennes (Ille-et-Vilaine). Les étranges créatures de Naomi Maury (née en 1991) forment-elles les vestiges d’un ossuaire post-apocalyptique ? Le visiteur doit-il craindre ces « exosquelettes » évoluant aux interstices entre le végétal, l’animal et le minéral ? L’artiste, qui floute volontiers les contours de son bestiaire, a néanmoins à cœur de l’inscrire dans un environnement apaisant et curatif : « Fleurs révoltées, Acier hacké » (voir ill.) est avant tout une ode au soin et à la poésie des « corps déviants » marginalisés.
Si le goût des artistes pour les exosquelettes ne date pas d’hier – en 1989 déjà, dans Remote Control, Jana Sterbak lévitait en prenant appui sur une crinoline en aluminium motorisée, dix ans avant les premières expérimentations de Stelarc autour des mécaniques robotisées –, celui-ci s’est plutôt manifesté dans la sphère de l’art corporel, les artistes ayant expérimenté le prolongement du corps humain par l’intermédiaire de la technologie. De fait, Naomi Maury détonne dans ce paysage artistique à l’accent cyberpunk, elle qui s’intéresse avant tout à l’utilisation des exosquelettes dans un cadre médical : Exosquelette #8 (2025) reprend notamment la forme d’un verticalisateur. Diffusion de témoignages de personnes en situation de handicap et de soignants, création d’une ambiance apaisante par le biais d’une bande-son au synthétiseur, mise en place de banquettes-sculptures confortables : l’artiste réussit à élaborer un environnement hospitalier et à transmettre sa sensibilité au soin et au handicap.
Et par un subtil travail sur l’aspect des matériaux, Naomi Maury parvient à démontrer que ces « corps déviants » ne sont pas que des corps médicalisés : ils sont aussi organiques et sensibles. Nul besoin de cartels pour comprendre la démarche de l’artiste, fait suffisamment rare pour être souligné. Elle propose un heureux mariage entre matériaux bruts, chirurgicaux et formes plus organiques apportant de la douceur à l’ensemble : les ossatures de ses créatures, composées de solides tiges en inox courbées et soudées entre elles, contrastent fortement avec les divers éléments décoratifs qui les agrémentent (et qui démontrent par la même occasion l’étendue des savoir-faire de l’artiste en matière de sculpture, d’assemblage et de tissage). En résultent des œuvres aussi étonnantes qu’émouvantes, toujours délicates. Parmi les pièces produites par le centre d’art, Exosquelette #6 (2025) est celle qui illustre le mieux cet équilibre : la colonne vertébrale est recouverte d’un tissu qui épouse les formes du métal tout en lui conférant un aspect plus arrondi. Cette housse diffuse la lumière d’un tube néon accolé à la tige : la froideur de l’acier tranche ainsi avec les tons chauds de l’épine dorsale. Les deux tubes en inox qui forment la cage thoracique sont quant à eux ornés d’une multitude d’anneaux et de pendentifs. Plus loin, des tissages au fil de fer très raffinés reprennent la forme de fleurs en voie de disparition.
Avec « Fleurs révoltées, Acier hacké », le centre nous enseigne que, bien souvent, la curation la plus réussie est celle qui sait se faire discrète pour laisser les œuvres parler d’elles-mêmes.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°660 du 5 septembre 2025, avec le titre suivant : Naomi Maury, poétique des « corps déviants »





