Musique et nazisme

L'ŒIL

Le 1 janvier 2005 - 558 mots

La prise du pouvoir allemand par Adolf Hitler en 1933 s’est immédiatement traduite par une prise en main de la culture. Un mois après avoir été nommé ministre de la Propagande, Josef Goebbels organise le spectaculaire autodafé de livres interdits. Spectaculaire également, la grande exposition de « L’Art dégénéré » (Entartete Kunst) qui a été présentée à Munich en 1937. Aucune forme d’expression artistique n’échappe au contrôle du régime nazi soucieux de séparer le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire ce qui est purement « allemand » de ce qui est « anti-allemand », c’est-à-dire cosmopolite, moderniste, enjuivé.
La musique germanique est exaltée avec emphase, de Jean-Sébastien Bach à Richard Strauss, en passant par Beethoven et Bruckner. De plus, Hitler a toujours voué un culte à Richard Wagner (par ailleurs, un antisémite virulent) et les grandes messes annuelles à Bayreuth prennent avec lui une dimension quasiment religieuse. D’origine juive, Felix Mendelssohn-Bartholdy est mis à l’index, et bien d’autres compositeurs disparaissent des livres d’histoire, tout comme
des répertoires des salles de concert.
Pour rendre compréhensibles à tous les dispositions prises par le IIIe Reich, une imposante exposition sur la musique dégénérée – cette fois à Düsseldorf – est organisée un an après celle qui a fustigé les artistes d’avant-garde. Son affiche figure un saxophoniste de jazz noir qui porte l’étoile jaune sur son smoking.
Ce rapprochement surprenant semble pourtant devoir s’imposer en cette année de la terrible nuit de cristal. Mais il reste un peu déconcertant quand on sait que la musique légère reste encore largement inspirée par le jazz. En dépit d’une publicité massive, l’exposition ne connaît pas le même succès que celle consacrée aux arts plastiques.
Il faut remercier Pascal Huynh, Pierre Korzilius, Emmanuel Hondré et Frédéric Dassas d’avoir conçu cette manifestation pour rappeler comment ce système totalitaire avait imaginé sa relation avec la musique. Elle permet de montrer de quelle manière le régime a valorisé et sublimé le patrimoine de la tradition allemande et a donné l’impulsion d’une « restauration » avec Strauss, Carl Orff, Werner Eck. Mais elle fait aussi valoir les relations de la musique de cette période avec les arts plastiques ou avec les moyens de propagande. Elle démonte les mécanismes absurdes et surtout réducteurs d’une idéologie dictant ses lois à tous les genres de musique. Et elle rappelle jusqu’à quel point la folie nazie pouvait aller, par exemple avec les orchestres dans la forteresse de Terezin ou dans les camps d’extermination, la musique jouant un rôle prédominant dans le microcosme SS où l’on est mélomane avant tout. Il faut se souvenir enfin que la musique allemande a continué à jouir d’une excellente réputation dans le monde – il est vrai que l’Orchestre philharmonique de Berlin, placé sous la direction de Wilhelm Furtwängler, connaît un rayonnement justifié. Contrairement à certaines idées reçues, tous les créateurs ou interprètes de talent n’ont pas pris le chemin de l’exil et ceux qui sont restés n’ont pas tous adhéré au nazisme.
Cette exposition devrait faire date grâce à la richesse des documents réunis, mais surtout grâce à l’intelligence de la mise en perspective de problématiques complexes, parfois contradictoires et paradoxales qui, avec l’usure du temps, risquent de s’estomper de notre mémoire et, surtout, de ne pas être connues des générations les plus jeunes.

« Le IIIe Reich et la musique », PARIS, Cité de la musique, musée, 221 av. Jean Jaurès, XIXe, tél. 01 44 84 44 84, jusqu’au 9 janvier.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°565 du 1 janvier 2005, avec le titre suivant : Musique et nazisme

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