Art contemporain

ART CONTEMPORAIN

Morellet, la géométrie dans l’espace de la Dia

Par Stéphane Renault · Le Journal des Arts

Le 2 février 2018 - 916 mots

Dans ses espaces de Chelsea et à la Dia:Beacon, la Dia Art Foundation consacre la plus importante rétrospective au plasticien français depuis plus de trente ans aux États-Unis.

New York. Il en rêvait. Disparu en 2016, il n’aura pu la voir. Certes tardive, la rétrospective posthume consacrée à François Morellet (né en 1926) marque un pas de plus – et non des moindres – dans la reconnaissance de l’artiste choletais outre-Atlantique. À l’occasion de « Réinstallations », l’hommage qui lui fut rendu par le Centre Pompidou en 2011, il déclarait à Alfred Pacquement, co-commissaire de l’exposition avec Serge Lemoine : « Dès le début des années 1960, mes amis du Groupe de recherche d’art visuel et moi étions persuadés que le règne de la peinture, des tableaux et des sculptures était fini, condamné à jamais […] » Ajoutant : « Les tubes de néon me sont apparus comme un matériau idéal […], je croyais alors qu’ils n’avaient jamais été utilisés dans le domaine de l’art – comme le pensaient sans doute Martial Raysse et Dan Flavin à la même époque. »

L’exposition new-yorkaise devrait remettre à la place qui lui est due l’œuvre de ce pionnier de l’abstraction géométrique, dont la créativité n’a rien à envier à celle de ses pairs. Fussent-ils Dan Flavin, Ellsworth Kelly – son ami à Paris –, Frank Stella ou Sol LeWitt – lequel fut accusé au début des années 1970 d’avoir plagié le Français, épisode malheureux préjudiciable à la reconnaissance de Morellet sur le sol américain. Longtemps, à New York, François Morellet fut surtout le père de son fils, Florent, propriétaire d’un restaurant du même nom à Meatpacking, rendez-vous du Tout-Manhattan noctambule. Sur le plan artistique, sa dernière exposition américaine remonte à 1984, à Buffalo puis à Brooklyn et Miami. Désormais représenté aux États-Unis par la puissante galerie Lévy Gorvy, son estate devrait logiquement connaître une réévaluation sur le plan à la fois critique et commercial.

Richesse d’invention

Que Morellet n’ait rien à envier aux plus grands, c’est ce que démontre à merveille la sélection d’une quarantaine d’œuvres, peintures, installations et néons réalisés sur une période de plus de soixante ans, de 1952 à 2017, présentés dans l’espace de la Dia dans la 22e Rue de Manhattan, en plein cœur de Chelsea. Dès l’extérieur, le visiteur peut admirer sur la façade du bâtiment de six étages un impressionnant wall drawing, reproduction monumentale d’une de ses peintures murales, Trames 3°-87°-93°-183° (1971/2017).

Sous l’impulsion de Jessica Morgan, directrice depuis 2015 de « La Mecque » du minimalisme, et de Béatrice Gross, déjà commissaire de « Cholet-New York » à la galerie Kamel Mennour à Paris en juillet 2017, la Fondation d’art met en exergue sa richesse d’invention conceptuelle et formelle. Un travail précurseur depuis ses premières œuvres jusqu’aux dernières installations. Chronologique, le parcours déploie ses recherches au fil des salles, à commencer par ses premières toiles du début des années 1950, travail géométrique, de précision à partir de la répétition de lignes perpendiculaires, trames parallèles, dans une logique sérielle, à rebours d’une certaine idée de la composition alors encore en vogue en peinture. Un geste d’avant-garde, comparable à la création musicale à la même époque.

Suivent des pièces réalisées selon ses « petits systèmes » savamment mis en place, utilisant les numéros de l’annuaire téléphonique, le nombre Pi ou le principe du hasard. Impossible ici de ne pas penser à la fascination d’un John Cage pour l’aléatoire, sens de l’humour compris. Les œuvres des années 1960 sont associées à l’art optique et cinétique, au G.R.A.V. (Groupe de recherche d’art visuel) dont il fut l’un des membres fondateurs, jouant de l’interaction avec le spectateur ou de dispositifs d’une extrême simplicité, à l’efficacité inversement proportionnelle. Ainsi de ces néons suspendus dont les reflets dans un bassin sont déformés par le spectateur sur l’action d’un simple levier troublant la surface de l’eau. Effet optique garanti.

Exploration « Mixed media »

Après la dissolution du groupe d’artistes en 1968, Morellet revient à la peinture, déplaçant cette fois son intérêt vers ce qui se passe hors cadre. Nouvelle remise en question, attestant de sa capacité à se réinventer constamment. La toile devient un objet dans l’espace. Ce travail préfigure les années 1980, qui le voient œuvrer plus avant à une déconstruction de la peinture à l’aide d’éléments extérieurs, de différents matériaux, bois, métal. Cette exploration « mixed media » culmine dans les séries des années 1990. Jusqu’aux dernières pièces, synthèses de son art. La Dia expose en parallèle dans son espace de Beacon, situé à une heure et demie de New York dans une ancienne imprimerie de boîtes de biscuits, No End Neon (1990/2017), au titre en forme de palindrome, désormais dans les collections de la prestigieuse institution. L’installation est déployée au sous-sol de cette cathédrale industrielle, au milieu d’une forêt de piliers, réussissant une confrontation magistrale avec d’autres pièces de la collection permanente. « Est-ce que ça va être l’euphorie ou l’œuf au plat ? », aurait dit le facétieux François Morellet, héritier autoproclamé de Mondrian et de Duchamp, grand amateur de calembours à la verve dadaïste dont l’humour et l’esprit (d’escalier) font tout le sel de ses écrits rassemblés dans Mais comment taire mes commentaires ? (éd. Ensba, Paris, 2003). L’euphorie, sans conteste, ajoutée à la jubilation et au plaisir de l’œil. Et plus encore, le sentiment de justice rendue : le voir enfin considéré en alter ego des plus grands artistes américains du XXe siècle.

informations
François Morellet,
jusqu’au 2 juin, Dia:Chelsea, 545 West 22nd Street, New York City, et jusqu’en 2019, Dia:Beacon, Riggio Galleries 3 Beekman Street Beacon, New York.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°493 du 19 janvier 2018, avec le titre suivant : Morellet, la géométrie dans l’espace de la dia

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