À Toulouse, les Abattoirs offrent son premier solo en France à l’artiste américaine.
Toulouse. Après The Broad à Los Angeles, la Barnes Foundation à Philadelphie et la Hayward Gallery à Londres, le Musée-Frac des Abattoirs constitue la dernière étape de cette exposition de Mickalene Thomas, dans une version enrichie de plusieurs pièces et luxueusement adaptée au lieu. L’artiste, née en 1971 à Camden (New Jersey, États-Unis), figure parmi les 100 personnalités les plus influentes de l’année selon le classement 2025 de Time Magazine. Mais c’est sa première exposition personnelle en France, où elle demeure peu connue. Le musée déploie donc un parcours pédagogique.
En guise d’introduction, quatre grands portraits toisent le visiteur, donnant à voir la facette la plus identifiable de l’œuvre de Thomas, celle qui célèbre une féminité noire souveraine dans des compositions mêlant peinture et strass. Le rôle de la photographie dans ce processus créatif est abordé dans la deuxième salle, dont l’accrochage montre comment cette étape préparatoire a évolué, la photo devenant l’œuvre elle-même. La série des « Nus exotiques » est ainsi réalisée à partir d’images érotisées de femmes noires tirées d’un magazine des années 1950, des photos agrandies, rehaussées de peinture acrylique et de verre teinté. Mickalene Thomas joue littéralement avec les clichés, ainsi que le précisent les cartels – mais est-il nécessaire de le souligner ?
La progression du parcours ajoute à chaque étape une nouvelle dimension : après la peinture et les collages, puis la photographie, l’installation vidéo Angelitos Negros (2016), vibrant des accents de la chanteuse Eartha Kitt (1928-2008), prend place au cœur d’une mise en scène invitant à s’asseoir confortablement.
La scénographie théâtrale plonge le visiteur dans l’univers de l’artiste grâce à des décors cossus en écho à la sensualité et au matiérisme de ses œuvres. Ainsi des intérieurs reconstitués de sa mère et de sa grand-mère, placés au centre de la nef, chaque salon, à la manière d’une period room, offrant un portrait en creux de son occupante. Les papiers peints conçus par l’artiste tapissent également plusieurs salles, quand celles-ci ne sont pas lambrissées et meublées de larges poufs en cuir rouge, comme celle consacrée aux tableaux des lutteuses (Brawlin’ Spitfire Wrestlers, 2007). Au cœur de l’exposition, c’est pourtant la sobriété de la vidéo Je, gros plan silencieux, qui exprime le mieux la sensualité.
Au sous-sol, on retrouve le dispositif que l’on avait pu voir en 2022 au Musée de l’Orangerie : dans le cadre de son « Contrepoint contemporain », l’institution parisienne avait en effet présenté plusieurs œuvres de Thomas – prolongement de sa résidence, une dizaine d’années auparavant dans la maison de Claude Monet à Giverny. Car l’artiste américaine ne cesse de regarder la peinture française des XIXe et XXe siècles : en témoigne sa réinterprétation du Déjeuner sur l’herbe de Manet. Ou encore Me as a muse (2016), une installation multimédia composée de douze écrans de télévision empilés dont les images, en se synchronisant, offrent une vision de Mickalene Thomas posant en odalisque, en alternance avec des apparitions féminines issues de l’iconographie classique, telle Léda et le Cygne de François Boucher. Le thème de l’odalisque est également décliné dans la deuxième salle du sous-sol.
L’imaginaire de Mickalene Thomas – qui revendique son homosexualité – est aussi nourri de la Black erotica (érotique noire) des années 1970, et en particulier des « beautés de la semaine » du magazine Jet. Avec ses images de jeunes femmes fétichisées, l’artiste révèle, en même temps que ses contradictions, ses différentes sources – à ce propos, il n’aurait peut-être pas été inutile de mentionner dans le parcours les artistes noires américaines qui l’ont précédée et influencée, comme Faith Ringgold ou Carrie Mae Weems.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Mickalene Thomas, miroir d’une féminité noire et sensuelle





