Michel Boyer, « moderne classique »

L'ŒIL

Le 1 juin 2003 - 807 mots

Grisant et troublant de s’apercevoir, de son vivant, à l’heure où les artères fonctionnent mieux que jamais, qu’on est devenu une antiquité, fût-elle du XXe siècle. Telle a été l’impression de Michel Boyer, éternel jeune homme du design et de la décoration devant le stand de Thomas Fritsch au Pavillon des Tuileries en avril dernier. Toujours actif, chargé de nombreux chantiers, ce spécialiste des grands chantiers collectifs, bureaux, sièges sociaux, se voit rattraper par sa production de designer des années 1970 quand il éditait ses propres créations à l’enseigne de Rouve, rue Bonaparte. L’Œil a fait connaître ses premières réalisations dès la fin des années 1960, comme son propre appartement, place des Victoires, sous le titre : « Boiseries Louis XIV et Design contemporain. » Reportage à la gloire d’un passé « décapé » (en l’occurrence les boiseries anciennes) et d’une modernité sûre d’elle-même. Un appartement qui se fermait le soir aux lumières de la place des Victoires pour faire mieux retentir l’harmonie d’aluminium anodisé ou laqué, la moquette rampante, le cuir fauve et les tubes nickelés, les toiles de Vardanega, Farhi, Vasarely, à la lumière de spots intégrés au plafond et des lampes de Celada (Fontana Arte) juchées sur des socles comme des sculptures. Appartement témoin de ses créations mais aussi de ses éditions, présentées alors à la galerie Rouve, rue Bonaparte : la chauffeuse boudins de 1971, les tabourets et la table basse X de 1968, les chenets en métal chromé. C’est le chantier de la banque Rothschild, en lieu et place de l’ancien hôtel « Restauration » du baron James qui lance l’ancien étudiant de Gilbert Poillerat, d’André Arbus et de Maxime Old. La baronne Elie de Rothschild avait apprécié son travail à la boutique Lanvin, faubourg Saint-Honoré. Sept ans d’agence chez l’architecte Pierre Dufau lui avaient permis de maîtriser tous les aspects du métier. « Je ne suis pas un grand technicien, ce qui m’intéresse avant tout, c’est de saisir et de travailler avec les volumes et avec les formes. À cette époque, surtout pour les espaces publics, on avait une liberté fantastique. » Rue Laffite, les bureaux des trois frères Alain, Guy et Elie, les salles de réunions, les salons de direction et les salles à manger lui permettent de s’exercer dans tous les registres et de faire appel à ses artistes favoris, comme Guy de Rougemont qui conçoit pour lui les fresques de la cafétéria et le plafond de sa propre salle à manger. La boutique Renoma, rue de la Pompe, le PLM Saint-Jacques, des hôtels en Algérie avec Fernand Pouillon, l’ambassade de France à Brasilia, chantiers privés pour Karim Agha Khan, pour Liliane et André Bettencourt : le style Boyer, « classique moderne » selon lui, est doublement international. Les années 1980 sonnent le retrait, mais non la retraite : un signe, il ne termine pas l’ambassade de France à Washington où Wilmotte lui succède : « C’était l’époque où tout le monde s’est mis à copier l’Art déco, j’étais démobilisé, ce que je faisais était taxé de «Trente », les gens avaient peur de tout.
Alors qu’avant je me lâchais complètement, je faisais tout ce que je voulais : j’avais même réussi à enlever les cinq frères Rothschild à leurs cadres en bois doré, pour les mettre dans de l’acier et de l’aluminium. » D’importants chantiers, surtout des sièges sociaux, (Saint-Gobain, JCDecaux, L’Oréal, Vivendi...) permettent à Michel Boyer de laisser passer le vent postmoderne pour se retrouver aujourd’hui en phase avec le design néo-soixante-dix et les nostalgiques des années pop. D’où sa satisfaction de voir son travail de designer reconnu par une génération qui n’a pas connu l’environnement pour lequel il était destiné. « Ce qui me plaît avec Philippe Jousse, c’est qu’il a un regard contemporain et qu’il est en contact avec la modernité et un milieu de collectionneurs dont je suis très proche. » Outre les grands classiques, seront présents aux expositions, des luminaires comme la lampe Brasilia et la lampe « écran », et les célèbres bougeoirs « gigogne » dont la présentation peut se combiner « à l’infini ». Philippe Jousse, qui a décidé d’approcher le XXe siècle sous tous ses aspects, se lance aussi dans l’édition. Son premier livre sur Mathieu Mategot, sous la direction de Patricia Jousse (avec des textes de Caroline Mondineu, Constance Rubini, Karine Lacquemant, Frédéric Bodet) est présenté au Salon du xxe siècle du Carrousel du Louvre, où l’on trouvera sans doute d’autres œuvres du décorateur. Qu’il le veuille ou non, Michel Boyer a changé de statut : de « classique moderne », il est devenu un « moderne classique ».

« Expositions Michel Boyer », PARIS, galerie Jousse Entreprise, 34 rue Louise Weiss, XIIIe, tél. 01 53 82 13 60 ; galerie Guillaume de Casson, 45 boulevard Vincent Auriol, XIIIe, tél. 01 45 86 93 77, 10 juin-19 juillet.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°548 du 1 juin 2003, avec le titre suivant : Michel Boyer, « moderne classique »

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