Mexique-Europe, histoire d’échanges

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 895 mots

Qui dit art mexicain pense ordinairement art précolombien. La richesse patrimoniale de la civilisation dont le Mexique est issu confère en effet à ce pays une aura culturelle qui occulte pour le moins les autres périodes de son histoire. L’époque moderne ne manque pourtant pas d’être foisonnante, animée et dominée qu’elle a été par un double mouvement – le muralisme et le surréalisme – et les échanges que les artistes ont notamment entretenus avec l’Europe entre 1910 et 1960. À l’origine de cette modernité, une première révolution : celle qui éclate au début du XXe siècle, menée par Pancho Villa et Emiliano Zapata, et qui participe à l’éveil de tout un peuple à la défense de ses droits et de ses libertés ; puis une seconde, artistique celle-là, orchestrée par le Dr Atl (pseudonyme du peintre Gerardo Murillo) – lequel s’est fait une réputation à Paris et dont Apollinaire admirait les peintures de volcans – et qui vise à mettre à bas l’enseignement convenu de l’académie San Carlos.
Dès les premières années du siècle, nombreux sont les artistes mexicains qui traversent l’Atlantique, voyagent en Europe, séjournent ici et là, à Madrid, à Paris, à Bruxelles, etc., voire qui vont tout simplement à New York. Ils s’appellent Diego Rivera, Angel Zarraga, Gabriel Orozco, Carlos Mérida, Roberto Montenegro, David Alfaro Siqueiros, Marius de Zayas… Si tous ne s’imposent pas sur la scène internationale, ils n’en participent pas moins à l’activité des milieux artistiques des villes où ils séjournent. Partout en Europe, les mouvements succèdent aux mouvements : 1905, le fauvisme ; 1907, le cubisme ; 1909, le futurisme ; 1910, l’abstraction ; 1916, dada ; 1924, le surréalisme… C’est une époque bénie, le monde de l’art est en pleine effervescence et Paris en est la capitale mondiale. Les uns n’y font que passer, d’autres s’y attardent – Zarraga y séjourne de 1904 à 1941, Montenegro de 1905 à 1920, Rivera de 1907 à 1921 – se liant d’amitié avec leurs alter ego qui font l’actualité : Picasso, Van Dongen, Mondrian, Lipchitz, Modigliani, Léger, Foujita… Il en résulte une fébrile émulation. L’art mexicain s’enrichit des innovations esthétiques des uns et des autres sans rien perdre de son identité tandis qu’à l’inverse la scène européenne se gorge de son exemple tant chromatique que formel, notamment dans ses modèles primitifs.
Dès le début des années 1920, Manuel Maples Arce tente de faire la synthèse de toute cette effervescence et des différents domaines de l’art et lance le stridentisme, premier mouvement avant-gardiste mexicain qui réclame vitesse et couleurs, cosmopolitisme et machinisme. Mais ce qui va constituer la véritable marque de la modernité mexicaine est la reprise en compte par Montenegro,
Rivera, Orozco et Siqueiros de la pratique de la fresque, issue de l’ère précolombienne. Au réalisme et à l’expressionnisme initiaux de ces derniers succède très vite le géométrisme de Tamayo et de Mérida. Véritable arme de prosélytisme et de combat, le muralisme mexicain, qui procède avant tout de la volonté de mettre l’art à la portée de tous, gagne aux États-Unis un prestige international d’autant qu’il n’est pas bien accueilli au Mexique même. Aussi assiste-t-on petit à petit à une certaine émigration : Orozco s’installe à New York de 1927 à 1934, Rivera et Kahlo de 1930 à 1933, Siqueiros y ouvre un atelier que fréquentera Jackson Pollock.
Les années 1930 sont favorables au développement des relations de l’art mexicain avec le surréalisme. Le voyage qu’y entreprend Antonin Artaud en 1936 est l’occasion pour lui d’admirer l’œuvre de Maria Izquierdo. Celui d’André Breton en 1938 – il y fait la connaissance du photographe Manuel Alvaro Bravo et il y rencontre Trotski, réfugié chez Frida Kahlo – est marqué par le souvenir d’une conférence fulgurante qui enthousiasme bien au-delà de la seule population artistique puisqu’elle a pour conséquence un vrai soulèvement populaire. Alors qu’à son retour Breton organise une exposition intitulée « Mexique » à la galerie Renou, la guerre qui éclate entraîne certains artistes à aller s’y installer. Ainsi de l’Autrichien Wolfang Paalen, des Espagnols Moreno Villa et Ramon Gaya, du peintre anglais Gordon Onslow Ford, du critique d’art allemand Paul Westheim et de l’écrivain Jules Romains qui y demeure de 1942 à 1946.
Au lendemain de la guerre, la jeune génération qui émerge prend tout naturellement le contre-pied de ses aînés au sein de La Ruptura, intéressée qu’elle est bien davantage par toutes les nouvelles aventures plastiques qui font jour que par l’exemple considéré comme trop académique des muralistes et des surréalistes. Tandis que, sensible à Picasso, José Luis Cuevas développe tout un lot de sujets engagés, Alberto Gironella entreprend quant à lui de réinterpréter les grandes œuvres classiques. À Mexico même, un petit groupe d’artistes hétérogènes, réunis autour d’Enrique Echevarria, ouvre la galerie Prisse ; sans parenté esthétique particulière, ils ont pour seule revendication leur liberté de faire. Inscrite au programme de Lille 2004, l’exposition « Mexique-Europe. Allers-retours, 1910-1960 » ne se contente pas – loin s’en faut – de témoigner de cette intense activité plastique, elle rend compte aussi de l’importance des échanges dans les domaines du cinéma (Buñuel au premier chef, bien sûr), de la musique, de l’architecture et du théâtre.

« Mexique-Europe. Allers-Retours, 1910-1960 », VILLENEUVE-D’ASCQ (59), musée d’Art moderne Lille Métropole, 1 allée du Musée, tél. 03 20 19 68 68, 4 septembre-16 janvier 2005. Catalogue, 320 p., 200 ill., éditions Cercle d’art, 45 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : Mexique-Europe, histoire d’échanges

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