Entretien

Matthew Darbyshire : « Où sont la poésie, l’authenticité dans les nouvelles technologies ? »

Artiste

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 mai 2017 - 658 mots

À la galerie Jousse Entreprise, à Paris, l’artiste réinterprète des sculptures existantes, leur moulage en béton étant issu d’un système d’impression 3D.

Vos sculptures sont des réinterprétations d’œuvres de la collection du Nottingham Castle Museum & Art Gallery. Comment sont-elles nées ?
Je m’intéresse parfois à des objets existants afin de créer de nouveaux arrangements et environnements, où j’essaye d’élaborer ma propre taxinomie. Lorsque le musée m’a invité à travailler sur sa collection, j’ai eu envie de choisir des objets qui diffèrent dans leur atmosphère, leur géographie, leur histoire, leur politique. C’est pourquoi vous trouvez dans l’exposition un chien à côté d’une armure, une forme non occidentale à côté d’une sculpture grecque classique.
En choisissant des choses très diverses, j’ai voulu créer une sorte de démocratie, donner à ces pièces une certaine autonomie afin de les rendre toutes égales. Je leur ai donc donné un volume identique, celui d’un corps moyen, en les moulant avec 100 litres de béton. Ces objets, aux formes et symboliques différentes, devaient avoir des propriétés identiques : poids, volume, matière. Finalement, la question est devenue : pourquoi est-ce que j’attache plus de signification, de valeur ou de poésie à l’une plutôt qu’à l’autre ? Qu’est-ce qui rend pour moi un objet plus puissant qu’un autre alors que tous sont identiques dans leur matière ou leur constitution ?

Ces sculptures sont ambiguës : elles semblent être des formes archétypales tout en revêtant une apparence très nouvelle. Recherchiez-vous ce décalage ?

Oui absolument, car je pense que le « faire » est en train de devenir le plus important pour moi en tant que sculpteur. Mes travaux antérieurs étaient des « semi-objets », ils faisaient référence à la commodité et à une culture populaire. En pratiquant la sculpture, je me suis rendu compte de deux choses essentielles apportées par l’ère digitale : l’image immédiate qu’il est possible de réaliser et la possibilité de produire tout ce que nous aimons grâce à l’impression 3D. Il est donc pour moi important de conserver une sorte d’« index » ou de « touche », car la sculpture peut rapidement devenir un simple objet manufacturé généré par une technologie de marque et perdre toute personnalité. Essayer de faire quelque chose de reconnaissable est une manière de conserver un aspect artisanal avec un outil issu de la technologie. Je cherche un défi : je ne veux être ni conservateur ni esclave de la technologie.

À propos de la technologie, est-elle pour vous seulement un outil, ou bien un processus qui peut vous permettre de redéfinir la sculpture ?
Les deux ! C’est important comme outil, mais je veux pouvoir l’utiliser avec une certaine irrévérence, je ne veux pas être à sa merci. Je ne veux pas devenir un ingénieur dont la valeur du travail tient seulement au spectaculaire du produit. Je ne souhaite par perdre une dimension et un contenu critiques. Il s’agit donc pour moi d’user de la technologie parce qu’elle est là ; ne pas faire comme si ce n’était pas le cas, mais embrasser les problèmes qu’elle pose. On peut tout réaliser avec ces nouvelles technologies ; mais où sont donc les questions relatives à l’esthétique, l’authenticité, la poésie, le caractère, l’intégrité ? Pouvons-nous les atteindre avec ces méthodes très impersonnelles ? J’essaye d’être à la fois critique et pratique.

Les œuvres de cette série intitulée « Xerox » sont-elles des objets, des reproductions, autre chose ?
Je suppose que cette réalité postmoderne impose une reproduction et un recyclage permanents, et rend difficile la création de formes véritablement nouvelles. On peut tomber dans cette abstraction paresseuse et ces formes biomorphiques que je ne suis jamais très heureux de voir ; elles essayent de faire croire qu’elles sont insaisissables alors qu’elles parlent le même langage. Ces sculptures, je les ai réinterprétées, elles sont devenues quelque chose en elles-mêmes et je les vois comme des objets auxquels j’ai donné une physicalité, un volume, une matière, une échelle, une forme, une surface. J’ai dû pour cela en passer par la représentation, la répétition, la réplique. La sculpture est toujours affaire de moulage, reproduction, multiples, et c’est ce qui m’intéresse.

Matthew Darbyshire. Xerox.

Jusqu'au 13 mai. Jousse Entreprise, 6 rue, Saint-Claude, 75003, Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°479 du 12 mai 2017, avec le titre suivant : Matthew Darbyshire : « Où sont la poésie, l’authenticité dans les nouvelles technologies ? »

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