Art moderne

Matisse voit double

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2012 - 767 mots

Le Centre Pompidou expose avec originalité et succès le processus créatif d’Henri Matisse. Le peintre aimait réaliser deux, voire plusieurs, toiles sur un même sujet abordé de manière souvent très différente. Véritables terrains de jeux, les toiles jumelles lui permettaient d’essayer des cadrages et des perspectives nouvelles.

PARIS - Comme s’il avait peur de perdre pied en ne se consacrant qu’à une seule toile, Henri Matisse a trouvé la parade en se dédoublant. En exécutant deux ou plusieurs toiles quasiment identiques au même moment, à quelques semaines ou quelques années d’intervalle. Faut-il y voir une marque d’hésitation ou le témoignage d’une recherche ? Les deux, mon capitaine. Et si le travail de Matisse varie sous toutes ses formes – le style, le cadrage, le traitement des volumes… –, son processus créatif n’obéit encore moins à aucun système : la première œuvre peut être l’esquisse à taille réelle de la seconde, comme retravaillée à l’aune de la seconde. Les paires, les séries… voici le point de départ, stimulant, de l’exposition thématique proposée par le Centre Pompidou. Une démonstration rafraîchissante car elle traite de la méthode plus que du peintre, de la pensée plus que de la personnalité.

« Matisse regarde constamment en arrière pour avancer », explique Cécile Debray, conservateur au Musée national d’art moderne et commissaire de l’exposition – à qui l’on doit la récente mise en lumière de la fratrie Stein aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris. Les historiens d’art ont pris le soin de décrypter la genèse des œuvres, mais l’accrochage au Centre Pompidou vaut mieux qu’un long discours. Ceux qui n’y verraient qu’un jeu des sept erreurs passeraient à côté d’une rare opportunité d’observer la pensée du maître en action. La série des trois Pont de Saint-Michel (1900) dévoile un Matisse qui élabore différents plans d’attaque : entre les couleurs sales de l’hiver parisien et une vision proche de l’impressionnisme, des blocs de couleurs franches et une vision synthétique, et enfin une touche plus légère pour une toile inachevée… Plusieurs duos soulignent cette façon dont le peintre joue sur la forme : entre Le Luxe I et Le Luxe II (1907), réunis de manière exceptionnelle, le geste s’épure, les contours s’affinent, le modelé est simplifié. Comme si le premier était la synthèse du second.

La multiplication des angles
Lorsque le sujet ne s’adonne pas à une séance d’essayage, Matisse varie son point de vue. Claude Monet, de trente ans son aîné, l’avait précédé en faisant de la série son cheval de bataille. Car l’impressionniste travaille sur les effets de lumière, son approche est d’une différence radicale. Le peintre reste immobile. Les bottes de foin, les nymphéas, la façade de la cathédrale de Rouen aussi. Seule la position du soleil change, entraînant une cascade de variations de couleurs, d’ombres et d’atmosphère. Avec Matisse, point de telle passivité. D’une toile à l’autre, le cadrage évolue, il se rapproche, s’éloigne, observe, fixe un détail, change d’avis… De ces nombreux rapprochements naît une idée de mouvement : Matisse tourne autour de son sujet comme un photographe autour de son modèle. Observez le mouvement de zoom avant entre La Robe rayée (1936) et Le Bras (1936) – le second est un détail agrandi du premier. À cette notion de mouvement s’ajoute la notion de temps : entre Le Violoniste à sa fenêtre et Intérieur au violon, le musicien qui joue devant la fenêtre a quitté la pièce en laissant son instrument derrière lui.

La photographie est justement venue assister le travail du maître. Au lieu de s’appliquer sur plusieurs toiles à la fois, il ne s’adresse plus qu’à un seul chevalet, et photographie son œuvre au fur et à mesure de son cheminement. En témoigne le rappel de l’exposition de la galerie Maeght, en décembre 1945, pour laquelle Matisse avait exposé six tableaux, dont La Blouse paysanne, entourés par des photographies suivant l’évolution de chaque tableau, à la manière d’un making of. Matisse n’est pas de ces artistes qui cachent de manière maladive leurs créations, pour ne les présenter qu’achevées. Cet abandon de la maîtrise d’une œuvre est nouveau et préfigure certaines théories plastiques du XXe siècle : le processus créatif est aussi important que le résultat.

MATISSE. PAIRES ET SÉRIES

Commissaire : Cécile Debray, conservateur au musée
Œuvres : 60 tableaux, et environ 30 dessins
Mécène : Géodis
Itinérance : 14 juillet-28 octobre, National Gallery of Denmark, Copenhague ; 4 décembre-17 mars 2013, Metropolitan Museum of Art, New York

Jusqu’au 18 juin, Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj 11h-21h sauf le mardi. Catalogue, 288 p., 42 €, ISBN 978-2-84426555-5

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Matisse voit double

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